ROCK BELGE / ALBUM SOUVENIRS
K L E P T O M A N I A (1969-1974) - 2°PARTIE
Interview et article de Jean Jième
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Dans son autobiographie intitulée Pour l'amour de l'art, rédigée il y a une vingtaine d'années, Charlie De Raedemaker, alias Charlie Maker, évoque les souvenirs de l'époque où il était bassiste de Kleptomania.
Il a accepté que ses écrits soient repris sur le site de Mémoire 60. La première partie se subdivise en trois chapitres intitulés respectivement Kleptomania/Débuts, Kleptomania/Congo, Kleptomania/séparation.
Puis intervient l'épisode du groupe anglo-belge Lee. Dans cette 4° partie, Charlie achève de nous raconter ce qui s'est passé ensuite. |
1974 - KLEPTOMANIA RENAIT DE SES CENDRES
SOUS LE NOM DE KLEPTO
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Après deux rudes années passées à tenter de se faire un nom sur le plan international avec Lee, Dany Lademacher, Charlie Maker et Roger Wollaert se retrouvent à nouveau sur la touche. L'aventure avec Mick Fowler a fini par tourner court. C'est un peu la déconfiture.
Mais déjà, depuis quelque temps, une idée germe dans les trois têtes : Pourquoi ne pas reformer Kleptomania ? Pourquoi ne pas faire renaître la joyeuse équipe du passé ? Certes avec deux plombes de plus, ce qui signifie avec davantage de pèche et de maturité. Une chose semble bien établie : ils en ont vraiment envie.
Charlie se propose alors de rencontrer leur ancien manager Wilfried Britts qui les a soutenus dès leurs débuts. Lors d'un premier rendez-vous, ce dernier fait preuve de méfiance et se montre circonspect. En fait, il craint de revivre les mêmes galères qu'il a vécues avec le groupe auparavant.
Mais, confronté à l'enthousiasme de Charlie, il finit par sortir de sa réserve. Il accepte de venir à une de leurs répétitions et là les choses se dénouent sans problèmes. Il consent à reprendre du service en tant que manager à la condition que Wim Hombergen qui se trouvait toujours à Berlin revienne se joindre à eux.
Charlie Maker : Pendant la période où nous étions occupés à courir les routes avec Lee, Wim est parti en vadrouille en Hollande et en Allemagne pour y tenter sa chance et surtout pour continuer à jouer la musique qu'il aimait.
Un moment, il a partagé sa solitude avec Paolo Radoni. Ensuite, il a croisé la route de Dick Annegarn, qui ne connaissait pas encore le succès en chantant en français.
Mais au bout de quelques mois, il a dû se résoudre à rentrer au bercail pour faire face à quelques dettes incontournables. Il a alors eu le courage de travailler pour le Marché Commun, le temps de rembourser. Une fois ses problèmes réglés, il est reparti, guitare sous le bras, à Berlin… pour y jouer du folk.
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Les 4 compères se retrouvent pour reformer le Klepto
Au cours du mois de décembre 1973, Dany et moi étions fauchés comme les blés.
Avec Serge Nagels, (notre Pikje national, celui qui avait été l'organisateur de notre dernière tournée en Suisse avec Lee et qui allait bientôt devenir notre road manager) nous avons profité que Wim soit à l'étranger pour occuper sa petite maison située rue des touristes à Watermael-Boitsfort.
Roger était mieux loti que nous, vu qu'il partageait un appart avec sa copine.
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Dès que j'ai vu que les choses prenaient tournure avec Wilfrid, j'ai demandé à Serge qu'il envoie un télégramme à Wim pour lui annoncer la reformation du Kleptomania. Trois jours plus tard, il était de retour … chez lui. Ou était-ce chez nous ? Bref il fut diablement surpris de nous voir installés dans ses pénates comme des chefs.
Au cours de l'hiver, nous nous sommes mis à répéter dans l'arrière salle d'un bistrot près de la basilique de Koekelberg. Ensuite on a aménagé dans la cave-garage d'un autre troquet, pour enfin aboutir aux Gémeaux. C'est là que nous avons préparé la grande première du nouveau Kleptomania ; rebaptisé Klepto pour faire peau neuve.
Nous avons répété durant près de quatre mois. Lorsqu'on s'est senti prêt à remonter sur scène Wilfried en a parlé à Piero Kenroll qui a eu l'idée d'inviter quelques uns de ses lecteurs pour une après-midi-interview en notre compagnie. Ces privilégiés ont ainsi pu assister à une répétition générale du groupe. Cet instant fut important pour nous. Car il nous confrontait à notre nouveau public devenu plus exigeant ; et qui ne manqua d'ailleurs pas de nous apporter critiques et suggestions.
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Le groupe se ressoude - Rue des Touristes à Watermael-Boitsfort
Klepto is back
Notre premier concert public a eu lieu à Marcinelle aux alentours de la mi-juin 74. Hormis les membres du groupe, on était accompagné de nos roadies Xavier Collin et de Serge Nagels qui avait amené son cousin Alain en renfort.
Sans en avoir les moyens, nous espérions être à la hauteur des groupes internationaux qui utilisaient à l'époque plein de gadgets audio-visuels. On avait d'abord pensé utiliser des fumigènes pour créer une chouette atmosphère sur scène, mais on n'a pas eu le temps de mettre la main dessus. Alors on s'est tourné vers une machine à fumées faite maison.
Trois heures avant le concert à Marcinelle, Serge a rempli deux grands bidons d'eau qu'il a fait chauffer sur des réchauds électriques. Au moment propice, il avait été convenu que Xavier et Alain verseraient de la neige carbonique dans l'eau brûlante. Ce qui devait provoquer une réaction chimique en chaîne. Avec pour résultat la formation de volutes de fumée qui étaient sensées nous envelopper délicatement. Mais l'eau n'était pas à ébullition ! La fumée est devenue tellement intense qu'on ne nous voyait plus du tout. Je ne parvenais pratiquement plus à distinguer le manche de ma basse. Que dire des autres ? Heureusement, le public ne parut pas trop surpris de nous entendre sans nous voir et nous réserva un accueil chaleureux.
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Une semaine plus tard, le 26 juin 74 on s'est retrouvé aux Gémeaux pour une grande première bruxelloise avec la participation de la presse qui était cordialement invitée.
Il y avait tellement de monde que le pauvre Serge, péniblement installé derrière sa table de mixage, a dû travailler à l'aveugle la plupart du temps.
Le 28 juin, on était programmé à Verviers, à La Jument Balance. Ce soir-là, Roger a voulu tenter une expérience. Il a pris du speed sans se soucier de la dose. Résultat une fois sur scène, il s'est mis à accélérer dans tous les morceaux.
Par moments, il allait tellement vite qu'il est devenu impossible de le suivre. Ce fut un sacré spectacle! Wim était furieux. Il lui balança : quand on prend des trucs pareils, il faut savoir les doser !!! Le lendemain, on avait un autre engagement. Roger était encore sous l'effet du speed. Fort heureusement, il a réussi à mieux se contrôler. Aussi le concert s'est-il déroulé dans un meilleur climat.
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TOURNÉE D'ÉTÉ SUR FOND DE MÉSAVENTURES
On the road - Sur la roue du soleil. Dany, Wim, Serge et
Roger pris en photo par Charlie. |
Notre agent et quelques intermédiaires nous avaient apparemment concocté une chouette tournée d'été. Suivant le planning, nous démarrions dès le 6 juillet à Genève au Faubourg. Pour descendre ensuite sur Juan les Pins, où nous devions tourner les 8, 9 et 10 au Voom Voom. Et retrouver entre le 12 et le 21 notre bonne vieille Réserve à Saint-Raphaël. Après, il était question de St Tropez du 22 au 24 et du 1° au 15 août dans une grosse discothèque en Espagne.
Pourtant tout a foiré. A part la Réserve ! Que s'est-il passé ? Prétextes, excuses et justifications de toutes sortes n'ont abouti qu'à un seul constat : le dégonflement de toute l'opération. Sur un mois et demi de booking prévu, nous avons pu sauver neuf jours à Saint-Raphaël ; ce cher trou perdu de la Côte d'Azur où nous avions passé, l'été précédent, quelques solides soirées avec Lee.
Nous sommes donc partis entassés dans le camion de Jean-Claude Gonze, nouvellement promu chauffeur et roadie. Très calme et taiseux, c'était un gars formidable, courageux, costaud, efficace et rassurant en cas de coup dur. Arrivés sur place, après plus d'une journée de route interminable, nous avons été confrontés à un sacré problème : trouver où dormir ? Notre contrat ne prévoyait pas de logement et notre maigre cachet ne nous permettait pas un cinq étoiles.
Roger a fêté dignement son anniversaire en nous offrant un bon petit gueuleton. Tout allait bien. Mais la nuit suivante, ma copine Marie-Pierre s'est fait agresser par une bande de crapules qui cherchait à la draguer.
Et comme elle les avait repoussés sans ménagement, ces mecs n'avaient pas hésité à l'envoyer valdinguer dans une volée d'escaliers en béton. J'étais sur scène, lorsque Serge est venu m'annoncer la nouvelle. Je n'ai pas hésité une seconde, j'ai sauté du podium et me suis précipité sur les lieux de l'agression.
Marie-Pierre pleurait, avait le genou en compote. Je voulais à tout prix retrouver les salauds qui lui avaient fait ça. Au moment où j'allais leur tomber dessus, j'ai été entouré par trois flics en civil qui m'ont stoppé net.
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Il était six heures du matin, on était au bord de l'évanouissement de fatigue. Trouver un hôtel pas cher, pour sept personnes, en pleine saison relevait de l'impossible. Tout était complet partout. Après d'innombrables courreries dans toute la ville, nous avons finalement débusqué un bistro en face de la gare, où le patron servait les gens avec un zizi en or autour du cou. A la bonne franquette, il nous a fourni des paillasses qu'on a disposées à même le sol dans les mansardes sous les combles. Durant les neuf jours passés à la Réserve, on a pris le soleil, dragué les filles et expérimenté l'ensemble de notre nouveau répertoire.
Charlie, Wim, Serge et Roger.
Ils m'ont assuré qu'ils prenaient l'affaire en charge. Très vite, une bagnole est arrivée et a embarqué tout ce beau monde. Ma copine s'en est tirée avec trois jours d'hosto et un genou plâtré qui la fait boiter pendant un bon bout de temps. On a quitté la Réserve sans grand regret en sachant que c'était sans doute la toute dernière fois qu'on y passerait. Serge, qui avait gardé l'adresse d'anciennes bonnes copines, nous proposa d'aller passer quelques jours en Suisse… aux frais de la princesse. Nous étions tous d'accord sauf Roger qui préférait rentrer au plus tôt pour rejoindre sa dulcinée. Chacun d'entre nous lui refila un peu de fric pour qu'il puisse se payer un ticket de train pour rentrer à Bruxelles.
Klepto sur la scène de La Réserve
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Logés, nourris, dorlotés, on a passé du bon temps sans vraiment se rendre compte qu'on brûlait nos dernières réserves.
Et lorsqu'il a fallu reprendre la route, on s'est rendu compte qu'on n'avait plus un sou pour remplir le réservoir de la camionnette. Il nous restait quarante-huit heures pour rejoindre Francorchamps ( 27 et 28 juillet) où nous étions attendus pour les 24H du rallye.
Alors on a fait la manche en jouant de la guitare dans les rues et on a tapé les copines de quelques dizaines de francs suisses pour nous permettre de repartir.
Charlie et Dany sur le chemin de la Suisse
Après un nouveau périple des plus harassants, assis ou à moitié couchés sur nos amplis, nous avons débarqué in extremis à Francorchamps, entité bien connue pour sa célèbre course automobile et surtout prétexte à une énorme fête de la bière.
En effet, puristes ou simples quidams passaient plus de temps à écluser sous le chapiteau qu'à assister aux performances des stars de la Formule 1. Parmi les divertissements, il y avait une kermesse géante où certains se prenaient pour les meilleurs pilotes du monde au volant de leur auto-tamponneuse.
Réparti sous divers chapiteaux, le public était invité à assister à des concerts avec des artistes de renom, tout style de musique confondu. Ainsi juste avant notre passage, l'infortuné Frédéric François n'arriva jamais jusqu'au bout de sa prestation tant les mottes de terre pleuvaient sur la scène.
Un spectacle affligeant. Si on n'aime pas un artiste, on sort et on va boire un verre ailleurs. Bref, lorsqu'on a succédé au malheureux chanteur, il y avait tellement de boue sur la scène que j'ai pris une pelle du tonnerre. Sans rien me casser, heureusement. Bien qu'on soit mort de fatigue, nous avons fait forte impression et le show a été un véritable succès.
Ce soir-là on s'est senti dans la peau de vraies vedettes. Même les gendarmes se pressaient pour nous demander des autographes. Fait marquant : la caravane qui nous servait de loge fut gardée en permanence par l'un d'entre eux. Si ces braves pandores avaient vu les joints qu'on se roulait, je me demande si nous n'aurions pas plutôt fini au mitard ?
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INOUBLIABLE BILZEN 1974
Le vendredi 16 août nous sommes partis rejoindre les prairies boueuses de la petite localité de Bilzen. A peine débarqués, nous avons constaté que les responsables du timing du Festival étaient énervés, voire même agressifs. Les diverses prestations des groupes avaient pris un sacré retard et visiblement, ceux-ci voulaient accélérer la cadence des bands suivants.
Nos roadies n'ont pas arrêtés de se faire houspiller tandis qu'ils installaient notre matériel d'amplification sur le podium. Finalement à 16H25, le « nouveau » Kleptomania est monté sur scène pour affronter son public. Et d'emblée nous avons ressenti un immense bonheur. Le public ne nous avait pas oublié et nous a réservé un accueil chaleureux. Cet élan du public envers nous ne pouvait que nous porter. Nous avons proposé le meilleur de nous mêmes.
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Festival Jazz Bilzen - 1974
Au bout d'à peine vingt minutes de show, un sifflement régulier du style pchiiit pchiiit a fini par attirer notre attention. Dans la coulisse, un type n'arrêtait pas de tapoter du doigt sur sa montre. Il nous intimait l'ordre de nous retirer.
On n'a évidemment pas tenu compte de ses injonctions compte tenu que notre contrat prévoyait bel et bien trente minutes de spectacle. Quand on est descendu de scène, le type, furibard, s'est mis à nous invectiver. Mais le public continuait à nous applaudir et nous réclamait de plus belle. Que faire ?
Je lui ai lancé en criant dans la cohue : Allez, chef un dernier morceau !
Réponse : Non, non, non, neen, neen !
J'ai pensé que ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Alors ma guitare en avant toute, j'ai foncé sur plusieurs gorilles qui s'étaient mis en travers de l'escalier menant au podium. Dany, Roger et Wim ont suivi.
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Mais une fois remonté sur les planches, nous avons constaté que plusieurs micros avaient été débranchés. Cela ne nous a pas empêché de terminer en beauté avec le classique Dust my blues.
Ce dernier morceau reste un souvenir incroyable et extrêmement émouvant pour nous tous.
Lorsqu'on est redescendu pour la deuxième fois, nous étions à deux doigts de la bagarre. Mais on n'avait pas tout vu. Pendant le rappel, les types du service d'ordre avaient vidé notre caravane et jeté nos affaires qu'on a retrouvées entassées devant la porte fermée à clef.
Mais nous n'avons pas été les seules victimes de ces organisateurs peu accueillants. Lorsque Mungo Jerry est passé et qu'ils ont trouvé qu'il occupait le podium un peu trop longtemps à leur goût, ils n'ont pas hésité à carrément couper le courant !!!
Le groupe n'a même pas voulu discuter et s'est retrouvé hébergé dans la caravane d'Humble Pie. Là, Steve Mariott et sa clique ont entamé In the summertime, pour leur remonter le moral. Après notre passage à Bilzen la presse a écrit : « Ces garçons doivent maintenant une fois pour toute avoir du travail chez nous. Ce serait assez triste s'ils devaient se séparer à nouveau du fait qu'il n'y a pas de pain à mettre sur la planche. Maintenant que nous avons quelque chose de solide, nous devons le garder ! » Jan Van Hemeledonck)
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DISCOGRAPHIE
1. Kept woman / Out of a Nightmare, MCA 2026, 1970
2. I Got My Woman By My Side / Lovely Day, MCA 2029, 1970
3. Mean Old Man / Back To The Old Country, Kingdom 12123, 1975
4. Rock ' N Roll / Don't tell lies, EMI / Best Seller 4C006-97154, 01/1976
Lire Chapitre 1 : Kleptomania/Epoque 1969-1974
Lire : Episode avec le groupe Lee avec Mike Fowler
Lire : Chapitre 3 - Clap de fin
Textes et Photos sous copyright des auteur.
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le site perso de Roger : http://www.myspace.com/rogerwollaert
http://www.belgianmetalhistory.be/html/bands/klepto/klepto.html
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