ROCK BELGE / ALBUM SOUVENIRS
LES EAGLES (1962 -1977)
Pipou, Marcel Preher dit Dany Mitchel, Johnny Tailleux, Claude Demol, Christian
et Charlie De Raedemaeker - 1962. |
Rencontre avec Marcel Preher, leader des Eagles - 12 mars 2009
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Marcel Preher : Tout démarre en 1962 avec ma rencontre avec Johnny Tailleux. Johnny est le fils d'un importateur de billards et de juke-box, qui non seulement a le mérite de jouer de la guitare mais également de disposer d'un local de répétition. C'est dans sa cave située chaussée de Watermael que lui, Pipou et moi on s'attelle à former un petit orchestre de rock. Son nom : Les Eagles. Pipou, qui était très jeune, avait déjà joué dans Les Requins, petit orchestre qu'il avait monté avec son copain Charlie De Raedemaeker. |
CHARLIE SE SOUVIENT .....
Charlie De Raedemaeker : Dans Les Requins, Pipou jouait de la batterie et moi de la guitare. Il y avait aussi Willy Pardon, le fils du boucher du quartier. On répétait dans le salon de Pipou. Notre moyenne d'âge : quatorze ans.
Un beau jour, Pipou m'annonce que le nouvel orchestre dans lequel il vient d'entrer cherche un bassiste. Ce que je ne suis pas, du moins à l'époque. Je gratte bon gré mal gré la guitare espagnole de ma sœur, une acoustique à six cordes. Il m'encourage à passer une audition. Tailleux me demande de lui jouer un riff de basse. Je ne connais qu'un seul morceau What I say. |
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Je lui déballe ma suite d'accords et après cette brillante prestation, à ma grande surprise, il m'engage. Au fur et à mesure des répétitions, il se rend compte que je rame. Alors il me suggère de prendre des cours avec Don Rico, un prof argentin, rue de Brabant, qui patiemment m'initie à la technique d'une quatre cordes.
Johnny qui a les moyens décide d'acheter trois Framus pour l'orchestre dans lequel il croit dur comme fer. Il m'en offre une gratuitement. Le sort en est jeté. Grâce à Pipou qui m'a attiré dans le groupe et Johnny qui a su se montrer aussi généreux, je me sens aussitôt investi d'une mission sacrée : devenir un bon bassiste. Puis on a été rejoint par Christian, pour la rythmique |
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RÉPÉTITIONS INTENSIVES CHEZ PIPOU
 

Marcel Preher : Pendant des mois, on a répété et joué devant des copains dans le cadre de surprises parties, de fêtes d'anniversaire, comme ça se faisait beaucoup à l'époque. On affectionnait tout particulièrement le Dave Clark Five , Gerry and the Pacemaker, Jerry Lee Lewis , Cliff Richard, et surtout les Animals.
Puis les choses ont pris une tournure différente. Le père de Johnny qui, dans le cadre de sa profession, approchait nombre de cafetiers et patrons d'établissements s'est mis à vanter nos mérites. C'est ainsi que nous avons connu nos premiers véritables engagements. Je me rappelle notamment du Café de la Poste où pour vingt francs, les spectateurs avaient droit à quatre entrées. |
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Jean Jième : En 1964, vous participez à un grand concours "La Grande Fête du Raisin" à Hoeilaert où vous remportez le premier prix.
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Marcel Preher : Exact. On a gagné le concours d'orchestres avec une interprétation de The House of the rising sun. Ce qui nous a valu de pouvoir enregistrer un premier 45 tours (You it's only you – The rocket song) qui est sorti chez Cardinal Records sous le nom de Dany Mitchel and the Eagles. C'était une production signée Rocco Granata.

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GOUDEN MICRO 1964-65
Jean Jième : En 1964, vous êtes sélectionné pour le Gouden Micro, qui en est à sa troisième édition ? Et vous récidivez en 65.
Marcel Preher : Les Eagles sont parvenus jusqu'à la demi-finale qui a eu lieu à Ostende. Comme on espérait aller plus loin, on a décidé, l'année suivante, de nous représenter.
On a éliminé tous nos concurrents dans le cadre d'une finale à Overijse et on a atteint la grande finale au Sport Paleis d'Anvers, où on s'est classé quatrième.
Durant deux ans, on a connu pas mal de succès en Belgique. On a connu jusqu'à huit engagements par mois.
Les Eagles lors de la demi-finale à Ostende - 1964 |
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A gauche : les Eagles aux éliminatoires - Overijse - A droite : en Finale au Sport Paleis - Anvers 1965

Les Eagles : à gauche Michael Heslope, futur guitariste de Burning Plague-
Bar du Martini Center en 1965
LES EAGLES ACCOMPAGNENT MARC ARYAN
Jean Jième : Tout va changer en 1967, lorsque les Eagles vont faire la rencontre d'un chanteur très populaire à l'époque ?

Marcel Preher : Il faut savoir qu'entretemps Johnny Tailleux avait quitté l'orchestre. Comme j'étais le plus âgé, j'en ai repris les rennes. Je me suis mis à chercher des contrats et à m'occuper de notre futur. De contact en contact, j'ai fais la connaissance de Jean Martin qui, favorablement impressionné par les Eagles nous a proposé de nous prendre en management. Quelques semaines plus tard, il nous apprend que Marc Aryan, dont il s'occupe également sur le plan des contrats, cherche des musiciens pour l'accompagner dans ses galas belges et étrangers. Rendez-vous est pris avec le créateur de Cathy, Cathy. L'audition se passe bien. Nous sommes engagés sur le champ. Aryan me prend aussitôt comme secrétaire particulier. Me voilà avec une double casquette. Je deviens le chef du personnel de mon propre groupe.
Jean Jième : Devenir groupe accompagnateur de Marc Aryan n'a-t-il pas sonné la fin des Eagles ?
Marcel Preher : Pas du tout. On a travaillé selon une double formule : d'une part assurer les bals comme d'habitude ; d'autre part accompagner Marc Aryan. Parfois on faisait les deux à la fois. Ca nous faisait de beaux cachets. J'ai continué à chanter avec l'orchestre. Mais lorsque Marc passait en vedette, je l'accompagnais à la trompette.
CHANGEMENT DE MUSICIENS
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Jean Jième : Tous tes musiciens sont-ils restés ?
Marcel Preher : Episodiquement. Par exemple, Charlie a dû accomplir ses obligations militaires en 67-68 et Pipou l'année suivante.
Charlie : Je suis rentré sous les drapeaux à Namur en avril 67. Je m'en rappelle d'autant plus que je me trouvais sur les toits de la caserne pour voir brûler l'Innovation, rue Neuve. Lorsque les Eagles et Marc Aryan sont partis en tournée en Arménie et en Russie, j'ai bien râlé de ne pas être du voyage.
Marcel Preher : Pour suivre le rythme des galas et des tournées, il me fallait des musiciens réguliers à tout prix. Je me suis mis à la recherche de nouvelles têtes. C'est Jean-Paul Wittemans, patron des Gémeaux qui m'a alors parlé des musiciens de feu Ariane et les 10/20.
Une des dernières photos de Charlie De Raedemaeker avec les Eagles.
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LA TRANSITION
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C'est ainsi que sont arrivés Christian au piano, Jacky à la guitare, Daniel à la basse et Henry, ex-batteur des Chabrols, très réputé dans la région d'Anvers.
Ca n'a pas empêché Charlie, et Pipou de continuer avec nous lorsquils étaient disponibles. On a aussi fait appel à Shorty pour quelques galas. Cette nouvelle formule nous a amené à suivre un Marc Aryan, alors en pleine gloire.
A gauche : la nouvelle équipe. A droite : on reconnaît Shorty avec ses lunettes et Pipou. |
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Charlie : Après l'armée, Pipou et moi avons décidé de ne pas rejoindre les Eagles. Le temps était venu de se lancer dans un style musical qui nous convenait à chacun. Pour ma part, j'avais envie de m'investir dans un groupe de blues ou de rock. J'ai répondu à la proposition que m'a faite Wilfried Britts qui avait dans la tête de manager un groupe pour son bar-bistrot situé à Notre Dame au bois. Au début, on était trois : Lou Deprijck, Francis Goya et moi. Francis et Lou n'ont pas accroché au projet. Ce sont finalement mes rencontres avec Wim Hombergen, Dany Lademacher et Roger Wollaert qui ont donné naissance au futur Kleptomania (voir la biographie de Kleptomania).
OCTOBRE 1968 : LA RUSSIE ET L'ARMÉNIE

Marc Aryan et ses musiciens en partance - Le Bourget - octobre 1968
Marcel Preher : Marc Aryan a tout d'abord été invité à se produire en Russie. Suite à ce voyage, il a été contacté par la Communauté arménienne qui lui a proposé de venir chanter à Erevan. Ce fut grandiose. Des foules immenses nous acclamant dans des stades combles. Le Ministre du Tourisme paradant au milieu de la pelouse avec l'enfant du pays. On a tous été reçu comme des princes.
L'immense stade d'Erevan - Le ministre du Tourisme accompagne Marc Aryan sur la pelouse.
Ceci dit, on ne s'est pas toujours marré. Surtout le soir. En 1968, n'y avait pas grand-chose à espérer des nuits moscovites ou arméniennes. On est donc beaucoup resté confiné au bar de l'hôtel ou dans nos chambres. Il y avait des gardes à chaque étage. On se sentait surveillé comme des potaches. Alors on a décidé de les occuper un peu. On a créé un scandale en descellant un lavabo qu'on a lancé par la fenêtre… On n'a jamsais pu prouver que c'était nous qui avions commis cet acte répréhensible.
Marc Aryan n'était pas le genre d'homme à se faire payer en monnaie de singe. Or, les roubles n'avaient aucune valeur en Europe occidentale. Alors tu sais ce qu'il a imaginé pour se faire payer à sa juste valeur ? Il s'est arrangé pour remplir la soute de l'avion avec des caisses entières de caviar, de vodka et surtout des tapis. Quand on est arrivé à Zaventem, il a fallu deux camionnettes pour transporter toute cette marchandise.
STUDIO DECCA

Marc Aryan dirige une séance d'enregistrement au Studio Decca - 1968
Jean Jième : La collaboration entre les Eagles et Marc Aryan ne va pas se prolonger au-delà de 1970 ?
Marcel Preher : Marc Aryan n'était pas une tendre, malgré les paroles de ses chansons. Vu son succès et en bon homme d'affaires qu'il était, il a voulu que nous devenions ses employés. Il nous a proposé un salaire fixe mensuel, et non plus une rémunération au contrat. Après concertation avec les musiciens, j'ai dû lui annoncer qu'on refusait sa proposition. Il n'aimait pas qu'on lui résiste. Après une bonne gueulante, on s'est séparé.
Jean Jième : Au moment de cette séparation, on dirait que vous devenez plus créatifs puisque vous sortez enfin des disques.

Marcel Preher : En 1973, on a enregistré Pick me up et Someday, notre premier 45 tours après dix ans d'existence du groupe.
Extrait d'un périodique (inconnu) : Je vous ai déjà parlé de ces musiciens qui, à une certaine époque, ont accompagné Ariane et les Dix- Vingt, puis Marc Aryan, avant de jouer cavaliers seuls. Ils ont enregistré, l'été dernier, un 45t. comportant, un slow intitulé Pick me up et un rapide Someday. Il est dommage que ce 45t. n'ait pas été distribué comme il aurait dû l'être, car vraiment c'était un « tube » en perspective pour ces très bons musiciens.
Ils ont, à mon avis, commis l'erreur de croire qu'ils auraient la possibilité de le distribuer eux-mêmes. C'était perdre de vue l'aspect commercial de la distribution, chose capitale s'il en est. Dès lors, on a assisté au paradoxe suivant : un 45t. très bien programmé sur les différentes antennes, une très bonne réaction du public, une demande auprès des disquaires et... pas de disques dans les magasins. C'est ce qu'on appelle « passer à côté de la plaque ».
Il est à souhaiter que pour leur deuxième 45t. les Eagles ne commettront plus la même erreur. Ils ont trop de talent que pour ne pas l'exploiter intelligemment. Cela ne les empêche nullement, d'ailleurs, de connaître un énorme succès partout où ils se produisent. |
SWEET BANANA - ONE IN A MILLION

Marcel Preher : Puis j'ai décroché un contrat avec Barclay. Ce qui nous a permis de sortir Sweet Banana, une composition de Henri Haubruge et One in a million. Ce disque sera classé dans le Hit Parade de Radio Monte-Carlo pendant plusieurs semaines. Sweet Banana a fini par inspirer la firme qui importait les bananes Chiquitas. Le département commercial m'a proposé de faire jouer les Eagles dans tous les Sarmas de Belgique. On jouait cinq titres sur un podium improvisé ensuite on repartait vers une autre ville. Une chouette période !

Les Eagles participent à l'émission de la BRT Binnen en Buiten - 1973
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Marcel Preher : En 1976 j'ai eu l'opportunité d'enregistrer une version bruxelloise de Mademoiselle Angèle d'après une version originale produite par Jacques Martin.
En face B, La march' a puce. Deux compositions de Haubruge. Rien qu'en Belgique, le disque s'est vendu à près de trente mille exemplaires, un véritable record pour un petit pays comme le nôtre. |
LES EAGLES V/S THE EAGLES... ET APRÈS !
Jean Jième : En 1977, coup de tonnerre dans le beau ciel azuré des Eagles. EMI Belgique, qui défend les intérêts du groupe américain The Eagles vous demande de renoncer à votre nom d'origine sous menace d'un procès.
Marcel Preher : On savait qu'il existait un groupe aux States qui portait le même nom que nous. Mais je n'ai jamais pensé que ça nous porterait ombrage. Et puis, les Eagles américains ont sorti leur tube mondial Hotel California. A partir de cet instant, EMI Belgique a écrit une lettre à Barclay pour leur demander de cesser de produire des disques sous ce nom. Et comme je n'avais jamais pensé déposer le nom, on a eu beau argumenter qu'on existait depuis 1962, rien n'y a fait. S'engager dans un procès était perdu d'avance. Alors, la mort dans l'âme, j'ai enterré les Eagles pour toujours.
CARA

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L'orchestre Cara
En 1978, j'ai eu la possibilité de partir plusieurs mois pour la Corse avec mes musiciens pour animer un village de vacances patronné par l'acteur français Michel Constantin. Le Club s'appelait Caramentino. Comme, il nous fallait un nom, j'ai opté pour Cara 78. L'année suivante on est revenu et on s'est fait appeler Cara 79, idem en 1980.
L'acteur français Michel Constantin, le héros de plusieurs polars de José Giovanni. Comme il habitait dans le Var, chaque année, il jouait au chef de village. C'était un ours au cœur tendre.
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EIGHTY-ONE

Marcel Preher : En 1981, j'ai l'idée de faire un medley de différentes chansons de twist qui ont connu un gros succès, tels que Ya-ya twist, Twist à St Tropez, Let's twist again, Pepermint twist avec comme intro quelques mesures de Nut Rocker ( B.Bumble and The Stingers) un bon vieux rock instrumental tombé dans le domaine public. Trois semaines après son enregistrement, voilà qu'il se met à cartonner en Belgique avec cinquante mille exemplaires vendus.
Universal sort le disque en Hollande, en Angleterre, en Allemagne et même au Mexique. Bilan : un million d'exemplaires vendus. Bingo ! Un disque d'or ! C'est sur la base de ce succès phénoménal que j'ai opté pour le nom définitif de Eighty-One.
Contact: eightyoneband@hotmail.com
Achevé le 29 avril 2009 - J.Jième |