ROCK BELGE / ALBUM SOUVENIRS
LES CROQUE-MORTS (1961 - 1963)
(biographie officielle réalisée par Jean Jième avec le concours de José Heymbeeck)

Au balcon du Club Les Cousins sur la Grand-Place : Les Croque-Morts. De gauche à droite : Garcia Moralès, Jacky Timmermans, Gégé Heymbeeck, Harry Copper et Marco Kac. |
|
|
Jean Jième : Récemment, et grâce au site memoire60-70, j'ai été contacté par José Heymbeeck alias Gégé qui, depuis quelques années, vit en Espagne. Il m'a tout de suite proposé de m'envoyer tous les documents dont il disposait encore afin de pouvoir élaborer la biographie des Croque-Morts. Ca m'a fait d'autant plus plaisir que j'ai bien connu les musiciens à l'époque.
Tout d'abord en les voyant jouer pour la toute première fois au Blue Note dans les Galeries St Hubert en 1962 et l'année suivante en 1963, sur la côte belge, alors que j'étais devenu chanteur des Enfants Terribles. |
JOSE (GEGE) HEYMBEECK RACONTE ...
|
Gégé : Tout démarre à la fin 1961, lorsque j'assiste à la prestation de Dick Rivers et des Chats Sauvages à l'Ancienne Belgique. C'était un onze novembre. Comme les Chats sont restés plusieurs jours d'affilée, j'ai eu l'occasion de faire leur connaissance dans le bistrot situé à côté de l'A.B. On a bu des verres ensemble et on a très vite sympathisé. J'ai été très impressionné à la fois par leur jeunesse, leur dynamisme et leur côté professionnel. Si bien que j'ai eu envie de monter un orchestre comme eux avec avec une batterie, un chanteur et trois guitares. Restait à trouver d'autres musiciens. A l'époque, je fréquentais un jeune gars de dix-neuf ans qui s'appelait Harry Copper. Orphelin, d'origine hollandaise, il vivait seul avec sa sœur à Anderlecht. Je savais qu'il grattait déjà de la guitare. Lorsque je lui ai parlé de mon projet, il a tout de suite été emballé. |
PREMIERES RÉPÉTITIONS

Ampli à lampes, micro de seconde main, haut-parleur de foire
|
Harry à la rythmique et moi à la guitare solo, on s'est mis à répéter dans ma chambre d'étudiant que j'ai reconvertie en local de répétition. Puis, Puppy, qui fréquentait l'athénée de St Gilles comme moi, est arrivé avec sa basse. Il n'est pas resté bien longtemps et a aussitôt été remplacé par Marco Kac, polonais d'origine. (Dans sa langue, Kac se prononce Katz).
Restait à régler le problème du batteur. Il faut croire que l'athénée de St Gilles foisonnait de talents puisque c'est dans la cour de récré qu'on a fait la connaissance de Garcia Morales. Il avait tout juste dix-sept ans et suivait des cours au Conservatoire Royal de Bruxelles. Son père, Janot, était déjà réputé comme étant un remarquable chef d'orchestre. |

Au-dessus : Gégé, Harry et Marco - En-dessous Garcia et Jacky, à peine dix-sept ans. |
Quoiqu'Harry se débrouillait super bien sur le plan vocal, la mode était aux orchestres accompagnés d'un chanteur. C'est pourquoi, on a préféré s'adjoindre les services d'un autre jeune de dix-sept ans : Jacques Timmermans, dit Jacky.
Son père était flic à Saint-Josse-ten-Noode. Nous étions désormais au complet. L'aventure pouvait vraiment commencer. On a démarré avec un matériel des plus rudimentaires. Si chaque musicien disposait bien d'une guitare, celles-ci n'étaient reliées à aucun ampli digne de ce nom.
Le chanteur n'avait pas de micro et Garcia tapait uniquement sur une caisse claire et une cymbale. En nous cotisant, nous sommes parvenus à nous acheter un vieil ampli d'occasion, à lampes, d'un micro de seconde main et d'un vieil haut-parleur de foire que nous avons monté dans une caisse en bois recouverte de toile cirée. |
|
HABITS NOIRS ET SQUELETTES AU COU

Les Croque-Morts, enfin au complet, se cherchent un look et adoptent les mini squelettes en plastique. |
Le nom des Croque-Morts émane d'un de nos condisciples, dont le père était ... croque-mort, de son métier. Nous le taquinions souvent à ce sujet. C'est Marco qui à la suite de nos quolibets a suggéré que nous prenions ce nom.
Pour nous aider à acquérir du matériel, mon oncle, Georges Dekeyserqui tenait un bistrot à Schaerbeek/Evere, nous a proposé de venir jouer chez lui, gratuitement.
A la fin de nos sommaires prestations, il effectuait une collecte auprès de ses clients, principalement constitués de pensionnés qui nous écoutaient avec énormément de bienveillance. Mais ça nous rodait. Manque de fonds oblige, notre costume de scène se réduisait en un pantalon noir (réutilisable dans le privé), d'un sous-pull noir et d'un ruban attaché à un mini squelette en plastique.
A force d'insistance, nous nous sommes fait connaître de plus en plus et nous sommes ainsi parvenus à décrocher quelques contrats à gauche et à droite. Ce qui nous a permis, avec en sus, l'aide de nos parents de compléter notre matériel. |
PREMIERS GALAS : GRAND PRIX VW
|
Débuts 1962, nous nous sommes sentis capables d'affronter un véritable public. De commun accord, nous avons décidé de nous inscrire au concours du Grand Prix Volkswagen.
Malgré un matériel d'amplification qui restait des plus primitifs, nous sommes partis à la conquête de la gloire. A notre grande surprise, nous avons fini second, derrière le chanteur Robert Cogoi. A la suite de notre "performance" nous avons obtenu des contrats plus réguliers. |
THÉÂTRE DES GALERIES
|
C'est à cette période que la direction du Théâtre des Galeries nous a engagés pour animer le final de la Revue de fin d'année et début de la nouvelle.
A cette occasion, nous avons eu le plaisir de travailler aux côtés d'acteurs de théâtre très appréciés du grand public, tels que Christiane Lenain, Jacques Courtois (qui chantait également sous le nom du Twisteur Masqué), Alain Ricard (qui a poursuivi sa carrière en temps qu'acteur de cinéma à Paris), Stephane Steeman, ainsi que Robert Roanne. On en a profité pour nous débarrasser de nos tenues de "croque-morts", pour troquer à la place des "costards super chic".
(A gauche : avec Jacques Courtois - Ci-dessous : Gégé et Jacky, une folle ambiance ! ) |
|
|
|
GALA DE BIENFAISANCE À BRUGMANN

Pol présente les Croque-Morts sur une scène improvisée à l'hôpital Brugmann.
|
|
Ensuite, nous avons fait la connaissance de Pol, le portier du dancing le Ben-Hur. Par la suite, il est devenu le patron du Carton et ensuite du Pol's Jazz Club. Pol était du genre bon coeur.
Il nous a appris que des rescapés du terrible tremblement de terre d'Agadir (27 février 1960) étaient soignés à l'hôpital Brugmann. Il nous a proposé de leur offrir un récital gratuit. Ce que nous avons évidemment fait. Question répertoire,
on puisait dans les Chats Sauvages, Eddie Cochran, Gene Vincent et bien sur les Shadows
|
|
 Devant leur local de répétition : une Renault pour cinq.
LE CLUB DES JEUNES TIGES
 |
La direction de l'Innovation à Bruxelles s'est très vite rendu compte de l'engouement des jeunes pour l'achat des disques, vêtements, bottes, cirés, gadgets divers.
Elle a alors demandé à l'impresario Jean Martin de créer un club (très BCBG) qui ferait venir des orchestres de rock mais où l'on ne servirait que des sodas, du thé ou du chocolat chaud pour ne pas effrayer les parents.
Le club s'est appelé Les Jeunes Tiges. C'est ainsi qu'on a fait la connaissance de Martin. qui plus tard s'occupera de nous dans les Babs et les Babettes.
Après-midis récréatives avec les Croque-Morts |
AUX COUSINS

Comme beaucoup d'orchestres de l'époque, les Croque-Morts ont fait partie
des habitués des Cousins, le seul dancing qui disposait d'une fenètre
donnant sur la Grand-Place. |
SUZY TWIST - JENNY DANS LE MIROIR
 |
Yvon Debie, directeur artistique chez R.C.A. nous a permis d'enregistrer un 45 tours avec deux titres : De hele stad is gek en dol rebaptisé par Eric Genty en Suzy Twist.
Le titre de l'autre face était Jenny dans le miroir, une version française de Ginny in the mirror de Doc Pomus et Mort Shuman et repris ensuite par Del Shannon.
Pour la petite histoire, la maman de Jacky s'appelait Jenny. Lorsqu'il chantait Jenny dans le miroir, notre grand plaisir était de reprendre en choeur, derrière son dos : Jenny dans le tiroir.
|
SUR LA CÔTE BELGE EN 1962
Depuis deux ans, Jean Martin organisait pour le compte de sponsors divers toute une série de jeux publicitaires sur la côte belge. De Ostende à La Panne, il plaçait ce qu'on appelait des attractions : clowns, fantaisistes, bonimenteurs etc...
A partir de l'été 62, il a fait participer des orchestres belges dont les Croque-Morts, les Enfants Terribles, les Ombres et d'autres. Ca s'appelait les Vacances Joyeuses. On s'installait sur un plateau-remorque qui servait de podium et on jouait sur la digue entouré d'une meute de gosses.
Entre deux morceaux, Martin et son équipe lançaient des jeux publicitaires et distribuaient quantité de gadgets, de petits cadeaux, quelques 45 tours, albums ou BD.
Mais notre véritable saison d'été a démarré à l'Esquinade à Westende
Les Croque-Morts sur le plateau-remorque
|
 |
RALPH BENATAR REMPLACE MARCO

Juste avant de partir pour la côte, Marco nous a quittés, car il entendait se consacrer sérieusement à ses études d'architecte.
C'est ainsi que Ralph Benatar est entré avec son sax dans les Croque-Morts.
L'ESQUINADE À WESTENDE

Westende à l'Esquinade - été 62
On a décroché un contrat de deux mois à Westende, à l'Esquinade. Là, on a véritablement fait nos classes. Jouer tous les soirs durant soixante jours, ça vous fait progresser à toute allure. Je dois dire qu'on a récolté un franc succès.
GOLF DROUOT - AVRIL 63
Revenons à Pol. Il connaissait bien Henri Leproux, le patron du Golf Drouot, temple du rock à Paris. Il est parvenu à nous faire engager là-bas. La toute première fois que nous y sommes allés, le plateau était exceptionnel. Mis à part, nos "copains" des Chats Sauvages, on y a retrouvé Lucky Blondo, Claude Francois, Petula Clark et Fernand Raynaud ! Par la suite, nous y sommes retournés plusieurs fois. On y a toujours été bien appréciés.
 |
Dix-neuf avril 1963. Une date dans l'histoire du tremplin du Golf Drouot : Petula Clarck, Claude François, Lucky Blondo, Mike Shannon et les Chats Sauvages, Fernand Raynaud et ... une formation belge très connue dans le nord de la France : les Croque-Morts.
On sent qu'ils ont déjà fait beaucoup de galas. Cela se voit, cela s'entend. Leur numéro est parfaitement en place, instrumentalement, chorégraphiquement, vocalement.
J'ai été particulièrement séduit par le jeu de scène, très rare, de leur chanteur. Le batteur, le point faible de beaucoup de formations, est excellent. Détail très important également, les Croque-Morts sont très souriants sur scène.
(article paru dans Telstar le 25-4-63)
|
RÉCLAMES
|
 |
Entretemps notre notoriété augmentant, Charles Borenstein, importateur des jean's Levis en Belgique, nous a engagés pour jouer à Texas City près de Vilvoorde.
Texas City tentait de reproduire l'ambiance d'une petite ville western avec ses saloons, ses chevaux, et bien sûr ses cow-boys.
Outre notre cachet, il nous offrait des tenues complètes, pantalon, chemise, blouson Levis ... à la condition, qu'une fois sur la côte, nous plongions tout habillés dans la mer. C'était sa manière à lui de faire de la pub pour ses jeans irrétrécissables et qui devaient si bien s'adapter au corps en séchant. Les velours Uco aussi nous ont confectionné des costumes à condition d'apposer de petits panneaux publicitaires lors de nos prestations sur scène. |
ÉPILOGUE

Formule avec deux batteurs : Garcia et Paul
A la rentrée de septembre 1963, s'est opéré un grand changement. Nous voulions faire évoluer notre style, en le rendant plus swing, davantage axé sur les percussions. De commun accord, nous avons fait appel à Paul Pécriaux, de manière à proposer un show avec deux batteries. Mais cette formule n'avait pas vraiment d'avenir,
car on ne pouvait pas baser notre répertoire sur des solos de batterie. D'ailleurs, peu de temps après, Paul est parti rejoindre les Cousins.
Plus tard, lorsque j'aurai rejoint le Sylvester's Team, nous tenterons diverses formules : ajouter deux filles, puis une trompette et un sax. Puis les retirer et les remplacer par un clavier. L'histoire s'est répétée par l'adjonction d'un violon et d'un violoncelle lorsque du Sylvester's Team, Sylvain Vanholme passera aux Wallace Collection.
Finalement, les Croque-Morts se sont reconvertis en transformant leur nom en Babs et Babettes, mais çà, c'est une autre histoire!

Les Croque-Morts à la Salle de la Madeleine dans un de ses derniers galas - 1963
SOUVENIRS
Jean Jième : Si je te demandais d'évoquer quelques anecdotes de cette période de ta vie d'artiste et de bohème avec tes copains musiciens, de quoi te rappelles-tu aujourd'hui ?
José Heymbeeck : Je me rappelle que nous devions souvent secouer Harry, sur scène, car il ne bougeait vraiment pas beaucoup. Dans une grande Brasserie, chaussée de Ninove, dont j'ai oublié le nom, en fin de soirée, pendant un slow des Shadows, je me suis endormi en jouant. Pire, aux Carabins, place des Martyrs, je jouais au bord de la scène, qui n'était heureusement pas très haute. J'ai glissé et me suis rattrapé in extremis à la poitrine d'une jeune spectatrice, qui a crié. Je ne sais pas si c'était de joie, de surprise ou de douleur.
Ralph Benatar : Au Conservatoire de Musique, je fréquentais la même salle de classe que Burt Blanca, de son vrai nom Norbert Blancke. Dès qu'il entrait dans le local de solfège, avec sa chemise à franges estampillée I like Elvis Presley dans le dos, la première chose qu'il faisait, était de déposer ses disques sur la cheminée avec une étiquette stipulant : soixante-six francs. Un jour : grande crise de fou-rire, lorsque le professeur Monsieur Moulart s'adressant à lui, lui dit : Monsieur Blancke qu'est ce qu'une barcarolle? Réponse : une petite barquette, Monsieur !
Un jour Burt et nous, nous produisions dans la même salle. Burt avait un bras cassé, ce qui ne l´empêchait pas de jouer de la guitare. En pleine ambiance, son frère Maurice, fait tout arrêter. Et dans un grand silence, il improvise un speech louant le courage de Burt qui joue avec son bras cassé. Il lui a fait lever le bras platré; ce qui le faisait davantage ressembler à un catcheur qu'à un chanteur. Dans d'autres spectacles, j'ai assisté à d'autres types d'intervention de sa part. Comme d'interrompre le spectacle pour jouer un air d'accordéon, .... ce qui refroidissait assurément l'ambiance.
Nous avons également eu l'occasion d'animer quelques premières parties de spectacles de Jacques Brel et le fait de le voir autant transpirer nous a toujours vivement impressionnés.
DISCOGRAPHIE
Suzy Twist / Jenny dans le miroir - RCA 47-9404 (1962)
Lire la suite : Les Babs et les Babettes
- REMERCIEMENTS -
Pour finir, je tiens à remercier mes parents ainsi que nos voisins qui ont supporté nos bruyantes répétitions pendant tant d'années. Car nous sommes restés là à leur casser les oreilles jusqu'à la constitution du Sylvester's Team.
J'ai également une pensée toute particulière pour Madame Flore Parijs (appelée jalousement par son frère Goldfinger) qui nous a permis ainsi qu'à des centaines d'autres jeunes musiciens d'acheter nos instruments avec des prêts sans intérets. ( José Heymbeeck).
Dossier achevé le 28 août 2009
|
|