ROCK / ALBUM SOUVENIRS
GENESIS ET LA BELGIQUE
PREMIERS CONCERTS - 1971 -1972
raconté par Jean Jième
CENTURY AGENCY
Printemps 1970. L’agence Century est en pleine activité depuis le début de l’année. Paul André et moi sommes parvenus à créer des contacts de plus en plus fructueux avec les agences de spectacle à Londres. Nos cinq Pop Hot Shows nous ont particulièrement aidés à nous faire connaître davantage.
Nous sommes désormais suffisamment considérés par le petit monde fermé du showbiz de la pop que pour recevoir quotidiennement plusieurs coups de fil d’Angleterre et des autres pays limitrophes, qui nous adressent des propositions pour engager leurs groupes.
Pour nous tenir au courant de l’évolution phénoménale de la pop music, nous parcourrons chaque semaine la bible du show business : le Melody Maker. Ainsi ne sommes-nous pas pris au dépourvu lorsque certaines agences tentent (parfois) de nous vanter les mérites (immérités) de leurs poulains. |
En effet, dans ce métier, il vaut mieux se tenir informé en permanence et avoir assez de flair que pour ne pas céder à l’envie de miser sur un mauvais cheval.
Il faut savoir qu’à l’époque notre pays bénéficiait déjà d’un réel capital de sympathie auprès des Anglais.
Tout d’abord parce que nous parlions volontiers leur langue, mais aussi parce que la Belgique se trouvait au carrefour de plusieurs pays : France, Hollande, Allemagne.
Notre petit pays représentait donc une sorte de tête de pont sur le continent, ce qui permettait de tester le niveau de popularité des groupes british qui y débarquaient.
C'est ce qui explique que c'est sur le sol belge que les Who, Kinks, Moody Blues, Pink Floyd, sont venus donner leurs premières prestations sur le continent. Avant le public français.
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Genesis sur le plateau de la RTBF (studio 6) le 9 mars 1971 (photo Jamin)
Emission filmée en direct en présence d'un public. Il n'en reste aucune archives.
POP SHOP
Côté télévision, le service des Variétés de la RTB orchestré par Nicolas Résimont et Ernest Blondeel a finalement accepté le principe d’une émission pop « exclusivement » destinée aux jeunes. Elle a été confiée à Pierre Meyer, qui en est devenu le producteur. Le nom de l’émission : Pop Shop. Son heure de diffusion : les jeudis à 18H20.
Bien entendu, dès l’annonce de cette nouvelle, saluée tous les fanas de bonne musique, nous avons immédiatement pris contact avec Pierre Meyer pour lui expliquer que notre spécialité consistait à faire venir mensuellement des groupes d’Angleterre.
Ce dernier comprend très vite qu’avec notre concours il ne devra pas beaucoup se fatiguer pour entamer des démarches auprès des agences anglaises. Le boulot lui sera mâché et servi sur un plateau d'argent. Forcément ! Car nous avons besoin de lui.
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Nous lui faisons la proposition suivante : dans la mesure du possible, il nous engagera les groupes anglais que nous faisons venir pour la première fois en Belgique. A Paul André et à moi de leur trouver des galas. A lui de les prendre dans son émission. Pour les Anglais, c’est la solution idéale. D’une part leurs artistes auront du travail sur le continent, d’autre part, ils se feront connaître en passant à la télé.
Nous lui avons expliqué que si la plupart d’entre eux n’étaient pas encore de grosses vedettes, certains le deviendraient à terme … Nous ne pouvions pas mieux dire !
Grâce à cette formule, nous ferons ainsi venir des dizaines d’artistes à des prix défiants toute concurrence. Parmi eux, Genesis, Vander Graaf Generator, Stud, Black Widow, Savoy Brown, East of Eden et tant d’autres.
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GENESIS À LA FERME V.
7 MARS 1971
A ma connaissance, aucune photos de Genesis n'ont été prises ce jour-là à la Ferme V. Sans doute, le manque
de lumière y est-il pour quelque chose. Quant aux appareils avec flashs, ils ne courraient pas les rues.
Avis aux amateurs qui auraient immortalisé ce moment "historique".
J’ai bien entraperçu le nom du groupe dans le Melody Maker au programme de toute une série de clubs londoniens. Mais, apparemment, ils ne sont pas encore très connus. Style trop personnel ? Trop spécial ? Pas pour longtemps.
Piero Kenroll, jeune journaliste à Télé Moustique, entretient des contacts réguliers avec la firme Charisma Records et son boss Tony Stratton Smith. Ce dernier vient de lui faire parvenir un album de Genesis. Depuis, il l'écoute en boucle et se prend à rêver de le découvrir sur une scène belge.
Lorsque Paul me fait part de sa proposition de faire venir Genesis à Bruxelles, je n’ai pas encore écouté leur album Trespass. Ce que je ne vais pas tarder à faire. |
Ce n'est pas tout. Piero nous explique qu’avec deux copains, ils ont débusqué un lieu insolite dans la commune de Woluwe-St-Lambert, une vieille ferme, pratiquement à l’abandon, qui pourrait fort bien servir de lieu de concerts pop. En fait, il s’agit de la ferme Verheyleweghen, qui bientôt s’appellera plus simplement Ferme V.
Après renseignements, Paul finit par débusquer l’agence qui s’occupe de Genesis. Il s’agit de Terry King Associated. Il y retrouve une vieille connaissance, Peter Gomely, qui se montre à la fois surpris et enthousiaste face à sa demande.
En quelques jours, un accord oral est conclu. Il stipule que Genesis se produira le dimanche 7 mars à Bruxelles, suivi le mardi 9 d’une captation télé dans Pop Shop. Nous arrivons à convenir d’un prix forfaitaire de deux cent livres, ce qui peut paraître dérisoire aujourd’hui ; mais à l’époque cela représentait 600 € ce qui n’était pas si mal que ça.
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COMPTE-RENDU DU CONCERT DE LA FERME V
par Piero Kenroll
Autour de moi Steve Hackett, Phil Collins, Michael Rutherford, et Tony Banks sont assis. Seul Peter Gabriel est debout derrière une grosse caisse, armé d’une flûte traversière et d’un tambourin. Cette attitude laisse présager une prestation relativement calme, à la manière d’un groupe folk. Pendant que je m’évacue tant bien que mal du côté de la « salle », Peter Gabriel commence à raconter une histoire. Surprise ! Il essaie de le faire en français. Et sa prononciation hésitante, son accent, ses petites erreurs, ajoutent encore de la saveur à son récit qui donne d’emblée dans l’absurde ou le surréalisme.
Ses efforts lui valent la sympathie générale et dès la deuxième chanson tout le monde est sous le charme. « Stagnation » est encore une composition plutôt douce, mais dès « The Light » l’impact des morceaux, leurs contrastes, les alternances de passages doux avec des explosions instrumentales en puissance vont aller crescendo.
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Pourtant, chaque fois, Peter prend son temps pour introduire le titre suivant. Toujours avec cette même candeur désarçonnante. Lorsqu’il mime la décapitation du petit garçon d’un coup de maillet comme évoquée dans « Musical Box » et conclut, l’air désolé et toujours dans son français hésitant, par « Il est moart » on l’est aussi : de rire.
Mais les moments qui suivent sont captivants et l’assistance est en extase. Le rythme galopant de « The Knife » achève le travail. Plus moyen de rester assis, c’est le délire dans la salle. Les quelques trois cent personnes présentes vivent un moment historique et, le plus fort, c’est que beaucoup s’en rendent compte !
Lire la suite : La Ferme V et Genesis - Gravé dans le rock
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CLOSE UP - PHOTOS RARES D'ÉPOQUE
Pour la promotion du groupe, Tony Stratton Smith nous a envoyé à l'époque des dizaines de photos ( format 18 x 24 sur papier glacé) de chacun des membres du groupe. Seul manquait Steve Hackett. Je suis sûr qu'il nous pardonnera ce qui n'est pas un oubli de notre part.
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Peter Gabriel (vocal et flûte) |
Tony Banks (claviers) |
Phil Collins (drums) |
Mike Rutherford (basse) |
FESTIVAL DE JEMELLE
8 AOÛT 1971
LE SHOW DE GENESIS : ADMIRABLE DÉLIRE
Compte-rendu de Jean-Luc Crucifix
(Extrait Rubrique Hot - Magazine Télé Moustique N° 2377)
Les douze cordes vibrent métalliquement. Le bois verni tremble, et l'effet est accentué par le jeu des reflets. Dix doigts frôlent les notes, les touchent et les accentuent quelques fois avec une régularité et une précision remarquables. Dix doigts exploitent les accords, leur font dire ce qu'ils ont à dire. Dix doigts pénètrent les accords. Puis une autre guitare entre dans la danse. Six cordes. Six cordes qui claquent ensemble, dans des registres différents. Les deux guitaristes se lancent, s'élancent, se poursuivent, enjambant les obstacles que constituent les notes. Ils dépassent les notes, ils atteignent la Musique. Ils s'en emparent pour mieux la donner et pour mieux se donner. Ils sont là sur la scène et pourtant ils sont autre part. Ils sont dans un Esprit et voudraient que tout le monde collabore à cet Esprit. Le tambourin malade frémit, frappe à intervalles réguliers, tellement réguliers qu'on ne l'entend plus : déjà il fait partie de la machine musique - mais ce n'est pas une machine. Les maracas coulent, battent, se balancent. Les mains se dissolvent sous elles. Les mains disparaissent, parce qu'il n'est pas besoin de mains pour faire une musique. La douceur - de cette fausse douceur qui annonce un événement inattendu - s'empare de l'ambiance, la fait sienne pour mieux s'y opposer l'heure venue. A certains moments privilégiés, la pénétration est intense au point de faire oublier qu'il y a pénétration. Bribes de fredonnement.
Peter Gabriel
Peter articule un mot. Une phrase. Comme un petit enfant sage qui voudrait obtenir une sucrerie. Son visage respire - et provoque - la gentillesse, son visage , mouvant, suit sans cesse les fluctuations sonores. Son visage rit, pleure, dans une désolation vraie ou fausse ; l'avenir nous dira où se trouve la vérité et où se cantonne la fausseté. Léger sourire de sympathie, de mise en confiance : tout à l'heure, il faudra viser juste, plus juste que ne l'attendent les membres de l'assemblée. Sans quoi la soirée et la musique seraient irrémédiablement perdues, perdues par la musique elle-même. Perdues par des sons dissous et des rythmes approximatifs. Il faut ce soir (tous les soirs) jouer le grand jeu, le jeu du public. Car le public est un grand jouet, très fragile, parce qu'il peut se rompre à chaque instant ; très important, parce qu'il est composé d'individualités qui pensent - qui sont susceptibles de penser.
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Fredonnement. Une phrase. Une chanson. Sourire. Grimace. Les tam-tams se mettent en branle. Lourdement. Peter frappe, tape. Phil donne à sa batterie l'aspect de machine. La batterie devient une arme, la grosse caisse devient un gros canon, les guitares deviennent autant de mitrailleuses. La fluidité de l'orgue devient subitement plus dure, se casse et laisse entendre des craquements de toutes parts. Des mâchoires s'ouvrent, se referment, s'écartent à nou veau pour laisser s'échapper des jets de paroles, de poumons et de tripes. L'électricité jaillit et les étincelles giclent des pupilles des musiciens. Ce ne sont plus des machines à musique. Les instruments parlent. Les instruments deviennent des bouches, qui articulent mieux et possèdent en elles une Puissance destructrice que les vraies bouches ne possèdent pas.
Phil Collins © Coerten
Les amplis crachent, lancent le feu. Les grosses boîtes à sons prennent vie, s'allient intensément aux cinq hommes et aux cinq instruments. Tout ce qui est sur scène s'allie intensément. L'Esprit est là, qui parle et qui crie. Peter est l'Esprit. Peter Jagger/Mick Gabriel. L'Orgueil est sur la scène. Non pas l'orgueil qui se retire dans sa tour d'ivoire. Mais l'orgueil qui domine pour mieux faire comprendre sa raison d'être. L'orgueil qui explique, qui saute, qui bouge sans cesse. L'orgueil qui percute le tambourin avec une méchanceté totale. Le visage de Peter se retire, disparaît sous le corps, réapparaît, plus agressif que jamais. Uni avec le corps - tout le corps -, il grimace violemment, s'étire dans un bruit de foudre sonore, sue son dégoût à la tourbe. Les traits se marquent, deviennent tout à coup indélébiles. Peter hait. Peter vous hait. Peter est malheureux, et le montre, et le crie, et le hurle. Peter se détruit. Autodestruction quasi suicidaire. Le matériel retourne à l'état de matériel. La rupture est nette, mais pas encore assez. Les objets volent, cassent, tourbillonnent parce qu'ils sont objets. Peter vole, casse, tourbillonne parce qu'il est objet. Et ne veut pas l'être. Ultime provocation. Perversion. Peter est. GENESIS.
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ATHÉNÉE ROYAL DE WOLUWE-ST-PIERRE
SAMEDI 22 JANVIER 1972
Genesis à l'athénée Royal de Woluwe-St-Pierre © Coerten
Genesis à l' athénée Royal de Woluwe-St-Pierre @ Coerten
PALAIS DES BEAUX-ARTS DE CHARLEROI
DIMANCHE 23 JANVIER 1972
TROCADÉRO À LIÈGE
LUNDI 24 JANVIER 1972
Genesis - Liège au Trocadéro le 24 janvier 1972 (photo Gauthier)
POP-SHOP
22 -23 MARS 1972
Genesis © Paul Coerten - 23 mars 1972
Les 22 et 23 mars 1972, le réalisateur de POP SHOP
réalise cette fois un film d'une trentaine de minutes tourné
dans les studios Mathonet.
https://www.youtube.com/watch?v=SOw2Y1KDPY8&ab_channel=ViacomHeLLIncViacomHeLLInc
ARLON 22 AVRIL
Genesis se retrouva à Arlon le 22 avril 1972 face à un public de poivrots complètement hermétiques à leur genre de musique.
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Jean Jième : Il est indéniable que la cote d’amour engendrée par la prestation de Genesis à la Ferme V, leur passage dans l’émission Pop Shop, le tam tam savamment orchestré par Piero dans sa rubrique rock de Télé Moustique et le réveil des disquaires (qui se sont mis à vendre leurs albums) a contribué à doubler la confiance de ce « jeune groupe » plein de promesses.
Cet engouement spontané, hors des frontières du Royaume-Uni, a sûrement encouragé Tony Stratton Smith à croire encore un peu plus en ses poulains.
D’ailleurs Peter Gabriel a su rester reconnaissant à l'égard de Piero pour l’avoir fait sortir de son île.
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Il a également prouvé sa gratitude envers le photographe Paul Coerten, (qui suivit sa carrière durant de longues années) en acceptant de préfacer son superbe album photos Golden Years.
Quant à moi, je me souviens de sa simplicité et de sa gentillesse, lorsqu’il prit sur ses genoux ma petite fille Nathalie, dans le rez de chaussée que j'occupais rue Charles Gratry à Schaerbeek.
Oui, vraiment, dans l’histoire du show-biz belge, Genesis reste bel et bien un cas unique.
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LIRE ÉGALEMENT : GENESIS EN BELGIQUE 1973 - 1976
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PRÉFACE DE PETER GABRIEL DANS
GOLDEN YEARS - Paul Coerten
POUR LES AMATEURS DE GENESIS :
LA BIO ORIGINALE MADE IN ENGLAND
LES PREMIERS EXTRAITS DE PRESSE ANGLAISE
Article paru dans Sounds/Jerry Gilbert
Article paru dans Melody Maker/Michael Watts
Melody Maker/Chris Welch - 1970
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