LE IV° FESTIVAL DE SELONCOURT
SAMEDI 18 ET DIMANCHE 19 SEPTEMBRE 1971
raconté par Jean Jième
Le Festival de Seloncourt organisé dans une grange
(photo D.Cazenave)
Le Festival de Seloncourt, organisé à l’initiative de Jean-Claude Pognant, un dynamique organisateur de spectacle français et programmé par l’agence bruxelloise Century illustre à merveille les difficultés et les rivalités qui existaient au début des années 70 entre agences de management à Londres.
Jean-Claude Pognant était entré en contact avec moi en 1969 afin d’engager les Shakespeares, un groupe anglais résidant en Belgique, et dont je m’occupais à l’époque. Il leur avait trouvé un contrat en Suisse. C’est donc à Genève que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Nous avons toujours gardé des contacts jusqu’à ce festival de septembre 71 qu’il a tenu à monter à Seloncourt, un bled situé non loin de Montbéliard, dans l’Est de la France.
Comme il savait que l’agence Century entretenait d’excellentes relations avec les agences anglaises, il a fait appel à Paul André et à moi pour constituer un plateau de groupes rock à la fois de qualité et de prestige.
Jean-Claude Pognant me téléphone début juin et m’explique qu’il a réuni une certaine somme pour financer un festival de deux jours qui se déroulera dans une petite localité du Doubs en France qui s’appelle Seloncourt. Il nous demande de lui soumettre une liste d’artistes.
Paul et moi appelons John Sherry Enterprises, Chrysalis, Nucleus Entertainment, Terry King Associates etc…
Très vite des noms se dégagent : Stray, Curved Air, Warhorse, Rory Gallagher, Bachdenkel, Jackson Height, Groundhogs, Savoy Brown, Stone the crow. Le nom de Mitch Mitchell est même évoqué. Ancien batteur d’Hendrix, il travaille avec Larry Coryell dans un trio où Jack Bruce tient la basse. Il aurait envie de voyager ! Pognant exulte et se met à rêver.
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Après un mois de discussions, de négociations et de tractations sur les trajets, les cachets, les retombées de presse, nous comprenons que les agents artistiques de tous ces groupes ne sont pas très chauds pour envoyer leurs artistes dans ce trou perdu de France…. Surtout pour un seul concert ! Nous ne sommes pas dupes.
Nous savons que les artistes anglais changent d’agent comme de chemise. Ce qui rend leur tâche inconfortable voire impossible. Et jour après jour, les perspectives de plateau se raréfient. Curved Air, trop cher ! Mitch Mitchell, ne voyagera pas en France ! Rory Gallagher, d’autres engagements ! Groundhogs, Savoy Brown, Stone the Crow, indisponibles ou pas du tout intéressés.
Pognant commence à paniquer sérieusement. On est à peine à quinze jours de l’échéance de son festival.
Jean-Claude est tellement embêté qu’il est prêt à accepter n’importe quel artiste pour autant qu’il fasse du rock progressiste. Je lui demande avec quels groupes il a déjà signé. Il répond qu’il a engagé Soft Machine et Daevid Allen et le groupe Gong, ce qui lui assure deux grosses pointures pour les deux jours. Il peut également compter sur Ange, un groupe de la région de Belfort, qui commence à être connu et dont il est devenu le manager. Reste à étoffer le reste du plateau du festival.
Finalement Warhorse, Stray et Bachdenkel font savoir qu’ils sont prêts à faire le déplacement jusque Seloncourt. Sur le retour, ils joueront à Paris, ce qui amortira les frais de voyage en France. C’est un excellent casting. Comme il s’agit d’un festival destiné à de véritables connaisseurs du rock, Paul et moi en profitons pour essayer de glisser quelques groupes belges dans le programme. Nous nous mettons à vanter les mérites de notre écurie. Pour se forger une idée, Jean-Claude nous demande de lui envoyer leurs disques. |
J’envoie à Belfort le dernier single de Kleptomania, une cassette de l’album du Lagger Blues Machine, fraîchement sorti ainsi que le légendaire Well Cut de Jenghiz Khan. Très rapidement, Pognant me demande d’établir leurs contrats Voilà qui fera le bonheur de nos musiciens nationaux, enchantés de partir à l’assaut du public français.
Huit jours avant l’événement, Paul André part faire une incursion à Londres pour établir des contacts avec de nouvelles agences et assister à la prestation de nouveaux groupes au Marquee. A Bruxelles, je reçois un xième coup de fil de Jean-Claude qui me dit qu’il reste quelque peu sur sa faim et qu’il voudrait ajouter un dernier groupe à sa programmation.
En réalité, Paul est descendu chez Pete Brown, chez lequel il dispose du gîte et du couvert. Comme il m’a donné le numéro de téléphone de Pete, j’invite Pognant à l’appeler directement. Ce dernier arrive à le contacter à l’heure du déjeuner.
Paul raconte : Je lui ai tout de suite fait comprendre qu’il n’y avait plus grand espoir de dégotter un band valable dans un délai aussi court. Tous les groupes étaient bookés depuis belle lurette. C’est alors que je lui propose de venir à Seloncourt accompagné de Pete Brown. Jean-Claude accepte avec enthousiasme. Puis j’ajoute : mais si tu veux, tu peux avoir deux grands noms pour le prix d’un.
-Que veux-tu dire, me demande Jean- Claude ?
-Et bien que je suis en ce moment avec Robert Wyatt et qu’il est d’accord d’accompagner son copain Pete.
-Quoi ?
Bienheureux hasard. Pognant a téléphoné au moment où tout ce beau petit monde était réuni. Brown et Wyatt sont libres. Bien sûr ils viendront sans leurs musiciens, mais ils seront bel et bien présents à la fête… mais uniquement le dimanche soir. Car la veille, ce sont les Soft Machine qui sont sur le podium. Et pas question de mettre Wyatt face à ses « anciens amis ».
Paul André : Car ce qu’il faut savoir c’est qu’à l’époque Wyatt vient de se disputer avec les membres de Soft Machine et qu’il vient de constituer un nouveau band qu’il a appelé Matching Mole (ce qui traduit en français donne : machine molle). Il sortira quelques mois plus tard un disque auquel il attribuera ce nom.
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Robert Wyatt exulte : Quelle bonne blague d’être présent dans le même festival !
Pognant s’empresse de leur envoyer des billets d’avion. Et c’est ainsi que le festival de Seloncourt est entré dans les annales des grands événements du rock en France, au début des années 70.
Une des rares photos de Pete Brown en Belgique. En effet, quelques jours après le concert de Seloncourt, Paul l'accompagnera dans une tournée dans l'est de la France. Cette photo fut prise dans le cottage de Paul André à Suxy dans les Ardennes.
Le vendredi 17, j’ai quitté Bruxelles dans ma vieille Peugeot 203 en compagnie de Jean-Noël Coghe, journaliste à Pop Music et bien décidé à pondre un papier conséquent sur ce festival unique en son genre, parce que si rare en France.
Pendant ce temps, Paul s’apprêtait à quitter Londres pour débarquer avec Pete et Robert sur un des aéroports les plus proches de l’événement.
Kleptomania, Lagger Blues Machine et Jenghiz Khan partaient chacun de leur côté pour une longue route en camionnette.
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COMPTE RENDU DE J.N. COGHE
23/9/1971 - POP MUSIC Le quatrième festival de Seloncourt (dans le Doubs) organisé par Jean-Claude Pognant est programmé par l’agence Century à Bruxelles.
Deux concerts sur deux jours. Dans une vieille et immense salle située dans le centre de Seloncourt, dans un bled qui ne figure sur aucune carte.
Deux mille personnes entassées, assises sur le béton ; un public excellent venu uniquement pour écouter de la musique. Un service d’ordre impeccable. Ce festival était une réunion d'amis organisée par des connaisseurs, des gens qui aiment ça.
Le programme a pourtant subi un sérieux remaniement et ce, jusqu’à la dernière minute.
En effet, Mitch Mitchell s'excusa et ne vint pas, tout comme Rory Gallagher à cause d'une sombre histoire de contrat. Mais Pete Brown et Robert Wyatt furent les présentateurs improvisés de ces deux jours.
Seloncourt a été un succès lourd de significations car, pour la première fois, il y a eu en France une manifestation pop réussie sans les tristes clichés auxquels nous avons été habitués ces derniers mois.
Seloncourt a été monté par des provinciaux, en province sans l'aide du métier parisien. C'est une forme de décentralisation que l'on n'espérait plus.
François Jouffa a toujours soutenu que le phénomène pop éclaterait un jour en France, en Province et c'est en train de se réaliser. |
http://michele.perso.libertysurf.fr
/ange.html
Commencé par un concours d'amateurs, le festival a réellement débuté ce samedi à 21H30 avec Ange, un groupe français de Seloncourt : leur succès n'a pas été seulement dû au fait qu'ils soient cinq musiciens, pratiquant une musique violente, contrastée, avec parfois quelques références à King Crimson, dignité par exemple, mais aussi au fait qu'Ange possède deux orgues et joue avec un matériel original. Ils chantent en français et cela colle très bien.
A noter : Tout Feu, Tout Flamme, titre de leur prochain disque et Ballade Pour Un Juteux.
"Le groupe évolue sous l’aile de son chanteur, Christian Décamps. Tombé du firmament, un soir de pleine lune, il écrit en 1969, la Fantastique Epopée du Général Machin, un pop opéra de trois heures. Ses compagnons de route sont tous issus de son terroir : son frère Francis Décamps, organiste, Jean-Michel Brézovar, guitare solo, Daniel Haas, guitare basse, Gérald Jelsh, batterie. Un terroir qui est source d’inspiration et mêle le fantastique, le conte (médiéval), l’homme. Un groupe résolument agressif sur scène et qui ne fait aucune concession au métier parisien..../... " Extrait de Autant en emporte le rock - (EPM/Le Castor Astral/2001)
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S T R A Y
Stray lui succédait. Leur travail de scène est saisissant surtout grâce à leur chanteur ; le soliste qui a vraiment une tête joue parfois l'orgue. Stray qui enfume toujours la scène en faisant sauter des pétards, bénéficie maintenant d'un jeu de lumières qui rend leur spectacle encore plus impressionnant.
Bachdenkel, lui, a fait passer sur ce festival de Seloncourt un souffle de renouveau. Composé de trois musiciens qui viennent en ligne droite de Birmingham, Bachdenkel fait une musique difficile, torturée, réellement belle et pleine d'attrait. Ce groupe est, en quelque sorte un laboratoire expérimental.
L'heure tardive à laquelle ceux-ci se sont produits (3 heures du matin) ne leur a peut être pas permis de donner la pleine mesure de leur talent, mais je crois que l’on tient là un groupe exceptionnel qui pourrait bien être la révélation de Seloncourt.
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Vers 4 H 15 du malin, Pete Brown et R. Wyatt ont encore trouvé la force de faire le bœuf ensemble.
"Daniel Haas, le bassiste de Ange, nous héberge dans une grande et belle maison à quelques kilomètres de Seloncourt.
Une maison glaciale aux plafonds immensément hauts. Le bois qui crépite dans la cheminée répand une agréable odeur, sans toutefois parvenir à chauffer la pièce. Fantasmagorique.
Avec Ange on est au pays de l’illusion, du merveilleux, du mystérieux.
Lors de leur tournée d’adieu (25 ans de carrière et la nique au show-business), on se remémore tout cela. Je demande à Daniel Haas quelle est cette maison où il nous a entraînés cette nuit-là. Il ne s’en souvient même pas ! Je m’en doutais ! A-t-elle seulement existé ? » Extrait de Autant en emporte le rock - (EPM/Le Castor Astral/2001)
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JENGHIZ KHAN - KLEPTOMANIA
LAGGER BLUES MACHINE
(les photos ci-dessous n'ont pas été prises à Seloncourt mais datent bien de 1971)
Big Friswa - Jenghiz Khan
(photo D.Borremans) |
Lagger Blues Machine |
Dany Lademacher - Kleptomania
(photo D.Borremans) |
Seloncourt a été aussi l'occasion pour des groupes belges de se produire dans un festival français : Jenghiz Khan devait laisser une forte impression sur un public au départ réticent.
Puissance musicale, puissance de cœur et un cinéma incroyable du soliste Big Friswa : seul sur scène et assis. Friswa réussit à dégeler l’ambiance en faisant chanter le public. Il fit également une brillante démonstration de son talent de soliste et suffoqua tout le monde par sa violence. |
Le dimanche, vers 17 H 30, le Point donnait le coup d'envoi de cette journée. Le Kleptomania, autre groupe belge a présenté sa nouvelle formule. Deux solistes qui se complètent, un batteur et un bassiste. C'est un groupe plus musical que vocal qui possède une grande présence de scène et qui est actuellement en permanence évolution.
Le Lagger Blues Machine donna une musique underground qui séduisit le public ce public fut d’ailleurs remarquable par le respect qu’il montra vis-à-vis de toutes les formations présentes.
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WARHORSE
Présenté par Pete Brown, Warhorse fit un malheur. On connait ce groupe par un album sorti il y a quelques mois.
C’est une formation dans la plus pure tradition des groupes heavy. Mais Warhorse malgré son immense succès de foule m’a un peu déçu : le groupe joue dans la facilité. Le chanteur m’est apparu vulgaire ne cessant de siffler les musiciens pour transmettre les ordres. Warhorse a réussi à faire vibrer le public et même à le faire lever. On reste toujours impressionné par un organiste qui renverse son Hammond.
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Warhorse possède un batteur hors ligne qui ne cadre pas tellement à mon avis avec les autres musiciens, malgré la présence parmi eux du bassiste Mick Simper, ancien Deep Purple, McPoole, le batteur s’est livré à un excellent solo. Warhorse a interprété les titres de son album et même St Louis, un morceau des Easy Beats
L’invité de dernière minute a été le Gong de Daevid Allen. Ce fut véritablement le grand moment du festival.
Gong a démontré qu’il était le meilleur parmi les meilleurs. Nous avons assisté à un bœuf qui restera dans les annales, réunissant les musiciens de Gong et de Daevid Allen, Kevin Ayers, R. Wyatt, Pete Brown et Mc Poole.
Conduit par Kevin Ayers, ce bœuf fut époustouflant. Allan en solo, Pete Brown et Wyatt aux bongos, Mc Poole au tambourin.
Soudain Wyatt en superforme sortit deux baguettes de sa manche et se glissa derrière le batteur de Gong pour se mettre à le doubler sur un tumba ponctué d’éclatements de cymbales (...) . |
Boeuf monstre avec Daevid Allen, Kevin Ayers, Pete Brown, R.Wyatt, Mc Poole
(photo D.Cazenave)
Lire : Agence Century
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