THE SHAKESPEARES EN BELGIQUE (1965-1969)
Biographie officielle rédigée par Jean Jième, avec la collaboration de Alan Escombe
CHAPITRE 2 : 1967
LES BRITISH S'INSTALLENT EN BELGIQUE
Au Bon Marché © J.Jieme
PREMIÈRES RENCONTRES
Jean Jieme
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Jean Jième : C'est le moment que choisit Albert Van Hoogten pour me contacter en vue de la réalisation d'une pochette de disque avec Brian Bastow. Ce jour-là, je découvre à la fois Brian et les musiciens de ce groupe anglais dont j'ai beaucoup entendu parler et qui m'intrigue. Je suis très excité à l'idée de rencontrer d'aussi près de vrais musiciens anglais.
Lorsque j'arrive au studio d'enregistrement, je réalise bien vite que l'ambiance est crispée. Le groupe répète de son côté et semble peu s'intéresser à Brian. Ce dernier, à la demande du producteur, se laisse placidement photographier. Les autres lui jettent de temps en temps un regard pour le moins indifférent.
Quelques jours plus tard, j'aurai la bonne explication. En fait, Brian ne fait déjà plus partie du groupe. Van Hoogten qui veut boucler une production avec Brian demande aux Shake Spears de l'accompagner pour deux titres.
Les Shake Spears acceptent à la condition que le 45 T sorte sous un autre nom et qu'ils n'apparaissent pas sur la pochette. Finalement le single sortira sous le nom de Brian and The High Five. Et comme prévu, sur la pochette, aucun des membres du groupe ne sera reconnaissable.
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BELGIUM 1967 : UN CONSTAT SANS CONCESSION :
"LES MUSICIENS : DES JUKE BOX AMBULANTS"
Jean Jième : Lors des prises de vue avec Brian au studio d'enregistrement, le contact passe plutôt bien avec les anglais.
Très vite, je ressens une réelle sympathie à leur égard. Ils sont drôles, décontractés, ouverts. Ainsi, au moment de les quitte , Alan me remet une photo du groupe avec l'adresse d'un dancing en Flandres où ils se produiront ce samedi. Il me griffonne également son adresse et téléphone en me disant de sa voix de contre-basse : "J'espèèèèrrrre que voooo viendrrrrai prrrendre un tee chez nooo".
Samedi soir vers 23 heures, je me rends à l'adresse indiquée par Alan, une sorte de grande discothèque située à St Kathelijne Waver. Je paye une entrée et pénètre dans un établissement bondé. Il fait fort chaud, l'air est moite, le bruit est assourdissant.
Les Shake Spears sont sur scène et ça déménage solidement. La piste de danse est infranchissable. Des bandes de filles crient : Sox, "I love you" ou Martin, "Ik houd van je". Ou est-ce l'inverse ?
Bref le chanteur et le guitariste sont les chouchous des demoiselles du Nord du pays. L'heure passe, les morceaux s'enchaînent les uns après les autres. Tout le répertoire rock y passe. J'aimerais saluer les musiciens, prendre un verre avec eux. Je demande au barman à quel moment le band est sensé faire une pause.
Quelle pause ? Pas de pause. Ils jouent toute la soirée. Je réalise que le patron de la salle les a engagés pour remplacer le juke-box ou la sono. En 1967, les clubs font davantage recette avec des musiciens qu'avec des disc-jockeys. Je sors un moment dans la rue pour décompresser et prendre l'air.
Oh, déconcertant pays, aux horizons limités, aux ambitions étroites, au constant manque de moyens ! Oh, plat pays, où l'on ne peut exercer un métier créatif et en vivre pour la simple et bonne raison qu'il ne croit pas en ses enfants.
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Ce n'est pourtant pas le manque d'audace, de fantaisie, d'idéal ou de créativité qui fait défaut dans la génération des sixties. Bien au contraire et dieu sait si l'avenir l'attestera. Je découvre, navré, que le sort des musiciens n'est vraiment pas enviable.
Dans ce pays surréaliste, tout artiste qui sort de l'ordinaire ou qui fait éclater son talent, se retrouve malgré lui, coincé entre le marteau et l'enclume. D'une part, les firmes de disques exigent qu'il enregistre des titres essentiellement commerciaux. D'autre part, les patrons de salle n'engagent que des "vedettes" comptant au moins un tube à leur actif. Leur arithmétique se limite à l'équation suivante : un tube égal quelques centaines d'entrées garanties par soirée.
À l'époque, j'ai souvent comparé la Belgique à un marécage ou à un trou noir aspirant artistes et créateurs de tous bords. Etait-ce dû à la fatalité d'être belge, flamand, wallon ou bruxellois ? Au mur d'indifférence du public ? Sans doute un peu de tout cela réuni. Le seul exemple qui ait fait exception à la règle est le Wallace Collection, seul orchestre des sixties ( 1969 ) à être parvenu à s'imposer sur le plan international. Et encore, c'est à partir de l'Angleterre qu'il a pu construire sa notoriété.
Grâce au ciel, aujourd'hui nos artistes musiciens, chanteurs, cinéastes, créateurs de mode, chorégraphes sont reconnus à l'étranger et même aux Etats-Unis. Il n'en fut pas toujours ainsi. Il aura fallu une quarantaine d'années pour parvenir à ce résultat.
J'ai retrouvé dans un agenda un texte que j'ai écrit et qui résume bien mon sentiment de l'époque : « Je n'ai pas d'exemples récents d'acteurs, de chanteurs, de musiciens qui aient réussi une percée en Belgique. Leurs valeurs artistiques s'engluent dans l'indifférence, se perdent dans l'incompréhension, sombrent enfin sans fracas dans un silence redoutable. Il ne leur reste plus qu'à se reconvertir dans un secteur plus rémunérateur ».
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FESTIVAL DE CHÂTELET - 67
Shake Spears au Festival de Chatelet - 10 sept 67 © Joseph Dresse
FESTIVAL DE JAZZ - BILZEN - 67
Shake Spears à Bilzen - 1967 © Joseph Dresse
LA BRITISH WEEK - 67
Affiche de Julien Keymolen
British Week dans la rue Neuve © J.Jieme
Septembre 1967. Le centre de Bruxelles et particulièrement la rue Neuve et les grands boulevards sont à la fête. Les commerçants et responsables des grands magasins se sont associés pour organiser une grande braderie en l'honneur du savoir faire britannique en matière de mode, de musique etc...
Pour promotionner les amplis et guitares de la marque Burns, le Bon Marché a fait appel aux Shake Spears. Ceux-ci prestent chaque après-midi durant une heure devant un public de jeunes teenagers. |
Les Shake Spears jouent sur Burns © J.Jieme
LORD SNOWDON EN VISITE AU BON MARCHÉ
OCTOBRE 1967
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Pour patronner l'événement, la ville de Bruxelles a invité la soeur de la Reine Elizabeth d'Angleterre, la Princesse Margaret ainsi que son époux Lord Snowdon.
Lors de sa visite au Bon Marché, Lord Snowdon effectua une petite visite de courtoisie au stand Burns et fut surpris d'y rencontrer des ressortissants anglais. Alan et Martin eurent une brève conversation avec lui et lui demandèrent s'il passait du bon temps à Bruxelles ?
- Confidentiellement, répondit le Lord, je m'ennuie plus qu'autre chose.
- Alors, pourquoi ne viendriez-vous pas nous voir jouer aux Cousins, Grand-Place ? Nous y serons ce soir.
Lord Snowdon se mit à rire et murmura discrètement qu'il essayerait bien de venir s'il parvenait à échapper à l'attention de sa femme et de ses gardes du corps.
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Lord Snowdon serre la main de Martin et d'Alan © J.Jieme
Avec leur van - rue Neuve © Jean Jieme
American College of Brussels © J.Jième
Groupies - American College of Brussels © J.Jième
De g. à dr : Kris Kritzinger, Johnny Kreuger,
Martin Pigott, Alan Escombe, Chris Stone dit Sox.
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DANS LE SALON DES SHAKE SPEARS
raconté par Alan Escombe
Alan : Au fur et à mesure que Jean Jième passait nous voir jouer, se développait un véritable climat de confiance et de sympathie entre plusieurs des musiciens du groupe.
Jième était un vieil habitué des Cousins, Grand Place. Un jour, nous sommes passés en attraction dans cette boite. Il était présent évidemment et nous a présentés à tout le monde. On sentait qu'il était un peu chez lui et qu'il s'y connaissait en matière de management.
Contrairement à Jean Martin, il nous a fait comprendre que si nous continuions à accepter des prestations de cinq heures d'affilée dans des bleds perdus, nous finirions par y perdre notre âme et notre réputation. Et il n'avait pas tort. Même si Chris Kritzinger qui veillait à la rentabilité du groupe était d'un avis contraire.
J. Jième avait du caractère et ne se gênait pas pour tenir tête à Chris ou à Johnny en leur répétant que leur style de musique ne se prêtait pas à des publics qui ne recherchaient que des groupes à tubes.
Pour discuter plus en profondeur de cette question épineuse qui finissait par nous diviser, rendez-vous fut pris avec le groupe au sixième étage de notre appartement Avenue de Broqueville.
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PERSONNALITÉS CONTRASTÉES
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Chris Stone, alias Sox, était du genre plutôt beau mec, cheveux châtains, mi-longs avec des favoris bien dessinés. Plutôt discret, il avait la particularité de marmoner entre ses dents. Il n'était pas dépourvu d'un certain charisme. C'était également un bon compositeur. Martin Piggott, le chanteur, avait tout pour plaire et faire vibrer les coeurs.
Physiquement séduisant, impeccablement fringué, toujours de bonne humeur, la voix légèrement éraillée, il avait de la gueule. Plutôt prudent, il ne se risquait jamais à prendre position ou à émettre des avis divergents. Il préférait se ranger à la majorité des deux tiers.
Mais c'était vraiment un gars agréable à vivre. Kris Kritzinger, le soliste, était petit, mince, calme, souriant, fair-play, poli, très british. Chris était un surdoué. Il jouait de tous les instruments et composait avec une facilité déconcertante. Plus tard, il deviendra un brillant producteur de disques en Australie.
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Le batteur Johnny Kreuger avait une tignasse aux allures de champignon, des pognes aux phalanges redoutables. Rougeaud, pas trop sexy, toujours de bonne humeur, c'était vraiment un type d'une gentillesse incroyable.
Mais la véritable âme du groupe était sans conteste Alan Escombe, le bassiste, l'un des plus anciens. Alan avait un physique tout en longueur. Son visage était interminable, ses cheveux aussi. Ses doigts étaient longs et parfaitement soignés. Il mesurait un mètre quatre-vingt dix et roulait des yeux terribles lorsqu'il était en colère. Un type épatant, intelligent et très sensible. Lui aussi deviendra plus tard un homme d'affaires important. Dans les années 2000, il créera Rock It Cargo, une compagnie internationale de transport de matériel pour pop stars.
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RCA RECORDS ENTRE EN SCÈNE
Johnny Kreuger, Martin Piggott, Chris Stone,
Kris Kritzinger, Alan Escombe © Jean Jième) |
Le groupe a pris rendez-vous chez RCA Records pour présenter une bande démo, riche de plusieurs titres. Kris Kritzinger et Chris Stone ont respectivement composé chacun deux chansons. Finalement le choix de la maison de disques se porte sur Something To Believe In de Kris Kritzinger et de Burning My Fingers de Chris Stone. De cet accord, naîtra un contrat prévoyant la sortie de deux 45 tours dans l'année.
Et tandis que les musiciens passent leur journée au studio, je les rejoints chaque soir dans leur appartement de l'avenue de Broqueville. Là-bas dans une ambiance religieuse, nous écoutons les grands prêtres du moment, Cream avec leur fantastique album Disraeli Gear, Hendrix, Stones, Beatles et l'incroyable Sergent Pepper, Jefferson Airplane, Doors. Avec certains membres du groupe, les liens se renforcent chaque jour un peu plus.
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