GRAVÉ DANS LE ROCK
Intégral inédit du second ouvrage de © Piero Kenroll
CHAPITRE CINQ
DAWN OF THE SEVENTIES
Je continue à affiner la rubrique. Comme les albums sont à la mode, je leur consacre de plus en plus d’attention. Celui de Mad River, le « Super Session » d’Al Kooper avec Shuggie Otis, le « Concerto For Group And Orchestra » du Deep Purple,, le deuxième de Joe Cocker, le « Second Winter (68) de Johnny Winter, le « Monster » de Steppenwolf, le « An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down » de Rod Stewart, « Lord Sutch And Heavy Friends » où interviennent Jeff Beck, Jimmy Page, John Bonham, Nicky Hopkins et Noel Redding, le « Time And A Word » de Yes, « A Song For Me » du Family et le premier de It’s A Beautiful Day sont de ceux que je recommande avec le plus d’enthousiasme début ’70. Du côté des « simples », tout le monde est intrigué par « Superstar », chanté par Murray Head qui serait un extrait d’un futur opéra pop traitant de la vie du Christ.
Télé Moustique commence donc à être la source principale des bons tuyaux pour ceux qui achètent des disques. Encore plus de lecteurs en perspective. Pour fêter le premier anniversaire de la rubrique, Willy m’offre une double page où j’y vais d’un bilan délirant des réactions réelles ou supposées que Pop-Hot suscite.
Quelques extraits…
« Nous sommes parfaitement conscients que cette rubrique est accueillie de différentes façons selon le tempérament des lecteurs ou selon leurs professions. Les coiffeurs, par exemple, ont paraît-il, la manie de découper les pages de Pop-Hot pour en faire des serpentins (c’est énervant pour eux tous ces gens à cheveux longs). Menacés de chômage, certains contre-attaquent. J’en connais un qui affiche dans sa vitrine « Ici on coupe pop » à côté d’une photo du saxophoniste du Colosseum : Dick Heckstall-Smith (69).
Certains lisent la rubrique pour se scandaliser de l’aspect extérieur des vedettes actuelles (chevelues et vêtues de manière extravagante) : « Pouah ! Qu’ils sont laids ! Ne pourriez vous pas parler plutôt de Luis Mariano (70) ? Lui au moins il porte un complet veston et une cravate, donc il est séduisant et il a du talent. ».
Dommage qu’ils ne pensent pas à étendre ce genre de raisonnement à des domaines non musicaux. Einstein, c’est bien connu, avait les cheveux long et était mal habillé, il ne fallait donc pas lui accorder la moindre attention. Par contre, Hitler avait un uniforme impeccable ; quel grand artiste ! |
Ils nous écrivent … Jean-Marie Desmet de Liège : « Votre rubrique est tellement bonne que depuis que j’en donne les pages à grignoter à mon hamster, il danse le jerk. » Henri Dupont de Verviers : « Depuis que ma concierge lit votre colonne « Papote », elle se tait ! Jean-Louis Lefèvre de Mons : « Depuis que je frotte Pop-Hot sur mon crâne, mes cheveux repoussent !
Sophie Vandevel de Bruxelles : « Pourquoi ne passe-t-on jamais de films d’horreur à la télé ? Et à propos, pourquoi ne publiez-vous pas une photo de Piero ? »
Yves Baquet, le metteur en page habituel de la rubrique, estime que nos lecteurs sont maintenant susceptibles d’accepter la réalité : il publie donc mon portrait… Si j’y apparais portant un badge annonçant « I like Family » ce n’est pas parce que la vie familiale m’enthousiasme, mais bien parce que le Family est mon groupe préféré du moment.
Piero par Yves Baquet |
Roger Chapman et Family |
Quel paradoxe d’ailleurs ! C’est vrai : le groupe mené par l’extraordinaire chanteur qu’est Roger Chapman a été une révélation pour moi. Aussi bien en disques qu’en scène. Et depuis des semaines je ne me suis pas privé de le couvrir de louanges, de pourfendre les firmes de disques belges qui tardaient à sortir ses albums chez nous, et de l’évoquer à chaque occasion. Au point que ma passion pour Family est devenue un gag.
Par contre, ce qui n’en n’est pas un, c’est mon manque de passion pour la vie familiale…Elle est inexistante. Je me consacre entièrement au boulot. Je ne vois plus mon père et je croise à peine ma mère (qui cohabite avenue Van Becelaere) à table. J’arrive le plus tôt possible à la rédaction, je me jette sur le boulot, mange la plupart du temps un sandwich à midi en continuant de taper à la machine (Oui, ça fait des miettes dans le clavier, mais je m’en…tape), à téléphoner ou à lire le New Musical Express ou le Melody Maker. Le soir j’écoute les nouveautés ou je me rends au concert. Je rentre tard. Miche, ma petite amie, fait de son mieux pour suivre tant bien que mal, mais notre relation en souffre et se fane progressivement. Et mon meilleur ami : Jean-Pierre dit Zorbec (71) ? Je ne le vois plus. Je ne m’en rends pas encore compte, mais ma « nouvelle vie » est en train de faire de moi un sale con vis à vis de mes proches.
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René Turcksin dit Tim Brean |
Et comme si gérer ma rubrique n’était pas encore assez. Chaque fois que j’en ai la possibilité, en soirée, je traverse Bruxelles pour me rendre à Berchem-Sainte-Agathe, pour travailler avec « mon » groupe.…
Car plutôt que de continuer à me lamenter sur les défauts des groupes belges, j’applique une fois de plus le principe qui est le mien depuis que j’ai organisé les premiers concerts pour les Aigles : « Si tu ne trouve pas ce que tu cherches, crée-le toi-même ».
J’ai discuté avec cet organiste – compositeur - chanteur du Tim Brean Group. Je lui ai parlé des faiblesses de sa formule par rapport aux goûts actuels et du potentiel qu’il pourrait y avoir pour un groupe belge qui, tout en alignant des musiciens de première force, tiendrait aussi compte du look et du contact avec le public.
J’ai présenté à Tim, mon copain Friswa qui menait les Partisans du temps des Aigles. Il n’est plus le long type mince de l’époque, mais un solide gars que la pratique intensive des arts-martiaux a transformé en athlète. Mais le karaté n’a pas remplacé son amour du rock. Comme guitariste aussi, il est devenu une pointure. Il a toujours bien chanté et il compose facilement.
Avec les talents de ces deux-là on peut aller loin… Si l’on prend le bon chemin. Et j’estime qu’à défaut d’être musicien moi-même, ce « bon chemin » je pourrais le leur montrer. Ils sont d’accord : je serai ce qu’on appelle le « directeur artistique », j’écrirai des paroles sur les musiques qu’ils composeront et, vu ma situation, je n’aurai aucune peine à leur faire de la pub. |
François George dit Big Friswa |
Christian Servrancks dit Chris Tick |
Tim (dont, soit dit en passant, le vrai nom est René Turcksin) garde son batteur du Tim Brean Group : Christian Servrancks qui prend le pseudonyme de Chris Tick et qui chante aussi.
Plusieurs bassistes se succèdent pendant les premières répétitions. Sans convaincre. Me risquant à annoncer que le groupe serait « la chose la plus étonnante en Belgique depuis l’époque où il n’a pas plu pendant seize jours », je lance même un avis de recherche dans ma colonne « Papote ».
Finalement, parce qu’il faut avancer, Friswa rappelle celui des Partisans, dont le sobriquet ne manque pas de sel puisqu’on l’appelle Basse. Pour faire un peu plus sérieux, comme son vrai prénom est Rémy, je décrète qu’on le présentera en tant que Remy Bass.
Quant à Friswa, (dont, soit aussi dit en passant, le vrai nom est François George), ce n’est pas vraiment édifiant comme identité. Alors ce sera Big Friswa, voilà. Tant qu’à faire il faudra un jour que je me trouve quelque chose de mieux comme pseudo que simplement Piero, non ?
En attendant Tim dispose d’un local pour répéter derrière la maison des jeunes de Berchem-Sainte-Agathe. C’est là que tous ces gars, qui ont chacun au moins deux noms mais pas encore un seul pour leur groupe, commencent à répéter quasiment chaque soir à partir de mars 1970.
Personne n’a évidemment encore aucune idée de….
(photos : J.Jième) |
Rémy Bass |
Kesskis’passe ?
Les derniers disques des Bee Gees n’ayant plus de succès, Barry Gibb décide d’aller faire carrière en Amérique. Maurice Gibb enregistre un disque en solo.
En plus de présenter « Cap de Nuit » Marc Moulin officie dans un groupe jazz qui s’appelle Casino Railway.
La plupart des concerts à Londerzeel ont été organisé par Pick Out, une société menée par Ludo De Bruyne (72) qui rêve de faire venir les Rolling Stones en Belgique. Ceux-ci ont un mauvais souvenir de leur premier passage où il n’y avait que 3.000 spectateurs au lieu des 15.000 attendus au Palais des Sports de Schaerbeek (73). Pour les convaincre, De Bruyne pense que s’il pouvait déposer sur le bureau de leur manager un monceau de lettres les réclamant, il aurait un argument de poids. Je propose donc une pétition aux lecteurs et les membres du Pop Hot Club font signer des formulaires par tous ceux qu’ils rencontrent. Mais les résultats sont décevants. Nous recevons à peine un peu plus de 4.000 signatures et certains lecteurs écrivent : « Les Stones on s’en fout, on veut Led Zeppelin ! »
Magnifique ! Vu le succès de Pop-Hot, Willy Waltenier, mon rédac-chef adoré, décide d’augmenter mon nombre de pages. En plus des quatre de la rubrique proprement dite, j’ai la possibilité d’y aller d’articles un peu plus conséquents que de simples nouvelles dans les pages qui suivent le soi-disant poster. Et il n’est plus obligatoire d’avoir un texte se rapportant à celui-ci. Dès le mois de mai j’annonce donc « plusse » de pop et je baptise ces pages Pop Flash . |
Dans mon intro, je cite un lecteur qui n’arrête pas de me bombarder de lettres aussi pertinentes que kilométriques : Jean-Luc Crucifix… On n’a pas fini d’en entendre parler de celui-là !
En apprenant qu’un membre du Dave Clark Five s’est cassé un orteil en shootant dans un poste de télévision, je me déclare perplexe : je ne savais pas qu’on pouvait capter la RTB en Angleterre.
Francis Dozin avec lequel j’avais sympathisé lorsqu’il était chanteur de Sincerity, groupe avec lequel il était passé chez les Aigles, me contacte pour me présenter Eric Vion, le producteur de son nouveau groupe qui s’appelle Laurelie . Vion lui, me présente le compositeur du groupe, ce Pierre Raepsaet déjà responsable du « Time Is Up » des Tenderfoot Kids. Ils me font écouter des démos dont la qualité m’épate à ce point, qu’enthousiasmé, je signale dans ma colonne Papote qu’il y a de l’espoir pour le niveau de la musique en Belgique et qu’il ne faut pas rater le premier disque du groupe qui, c’est une première chez nous, sera directement un album.
Ça y est ! J’ai trouvé ce que je cherchais pour « mon » groupe. Un nom facile à retenir et qui ait un côté redoutable (74) : Jenghiz Khan !
Ce n’est qu’en avril ’70, parce qu’on annonce la sortie d’un film sur l’événement, qu’on commence à s’intéresser chez nous à un festival qui a eu lieu à Woodstock aux USA en août ’69. A l’époque, le retentissement de l’événement avait été occulté en Europe par celui du deuxième festival de l’île de Wight qui avait eu lieu dix jours avant.
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10 avril 1970 : Paul McCartney quitte les Beatles ! La nouvelle est tellement extraordinaire que, pour une fois, la radio et la presse quotidienne l’annoncent immédiatement. J’ai peine à y croire et lorsque je reçois le New Musical Express et le Melody Maker, seules sources d’informations que je considère comme fiables, je cherche où est l’erreur. Entre les lignes, parce que Paul a simplement officialisé le fait que, depuis un an, les Beatles se sont surtout consacrés à leurs projets en solo et parce qu’il reste chez Apple, je crois deviner qu’il s’agit d’un coup de pub pour lancer son nouvel album et je vais jusqu’à titrer « Paul McCartney ne quitte pas les Beatles » en expliquant tout ça. Bien sûr, je me plante magistralement.
En fait la séparation est encore plus amère qu’on ne le révèle. Les Beatles sont sur le point d’enfin sortir leur album « Let It Be » qu’ils ont enregistré avant « Abbey Road » mais retardé pour qu’il puisse être accompagné d’un film et d’un bouquin. McCartney, qui est en pleine dispute avec Lennon au sujet de la gestion d’Apple et du travail de Phil Spector, grille le groupe en sortant son album personnel avant lui. Je ne vais pas m’étendre sur ce qui a été maintes fois raconté, mais simplement rappeler que les Beatles sont à ce point un mythe et un symbole de tout ce que le rock a apporté jusqu’à là, que leur séparation est ressentie comme catastrophique, un peu comme si Elvis se coupait en deux. Pendant dix ans, nombreux sont ceux qui espéreront une réunion. Pour mettre fin à ce rêve, il faudra que Lennon soit assassiné.
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Conférence de presse par Monsieur Salkin, directeur de la discothèque nationale. Il annonce qu’à partir de septembre il y aura un rayon pop-music dans ce vénérable organisme. La richesse musicale des groupes contemporains semble avoir forcé le respect des musicologues avertis. Avec les amuse-gueules les journalistes reçoivent une liste des « artistes pop » dont les disques seront disponibles. Les principaux groupes contemporains y sont, mais je m’inquiète de ce que je ne vois aucune trace de ceux qui comme Elvis, Chuck Berry, Little Richard, Gene Vincent et compagnie sont à la base du genre. Je demande pourquoi et le bonhomme me répond qu’il s’agit là de chanteurs qui n’ont rien à voir avec une musique évoluée… M’est d’avis qu’on est mal barré !
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Car je me rends compte qu’un certain snobisme règne dans une partie du public. Il est surtout le fait de ceux que j’appellerais les « convertis ». Ceux qui n’ont commencé à s’intéresser à la pop-music que lorsque beaucoup de groupes se sont proclamés « progressistes » et ont proposé une musique plus sophistiquée, certains flirtant avec la musique classique, d’autres avec le jazz. Fort bien. Je suis 100% en faveur de tout ce qui peut faire évoluer la création et surprendre, mais faudrait tout de même pas négliger l’essence même du rock, bordel : son dynamisme, son feeling, son grain de folie, sa sexualité, sa subversion…
J’y vais donc d’un article d’une page (75)pour dénoncer ceux qui prônent que « si c’est simple c’est mauvais » et ceux qui placent la virtuosité au-dessus du simple plaisir de jouer. Je rappelle que si des groupes comme le Nice et Soft Machine sont très intéressants dans les démarches musicales qu’ils entreprennent, d’autres comme Humble Pie et Creedence Clearwater Revival sont tout aussi valables parce qu’ils vont droit au but et conservent à la pop-music sa vitalité.
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- East of Eden |
On continue les Pop Hot Shows et mon but est atteint : c’est le responsable d’une section du Pop Hot Club, Christian Hericks, un moins de vingt ans qui, avec l’aide de Paul André et de Jean Jième et leur agence Century, met le troisième sur pieds.
Le 7 mai, sous chapiteau, à Moustier-sur-Sambre, entre Namur et Charleroi. C’est une première pour la Wallonie. On s’interroge sur la réaction du public wallon encore très inféodé à la variété française.
Au programme, après l’habituel concours de groupes amateurs, (assez consternant car la plupart des groupes wallons en sont encore à se prendre pour les Shadows), il y a les maintenant habituels aussi : Tenderfoot Kids, Carriage Company, Kleptomania et Burning Plague. East Of Eden, un groupe anglais qui mélange agréablement rock, free-jazz et gigues (il y a un violoniste) passe en vedette, mais ce sont les Gallois de Man qui sont les plus mémorables. Leur dernier morceau « The Storm » (76) est un instrumental où ils recréent une ambiance maritime avec cris de mouettes, grincement des cordages d’un voilier, bruits du vent et des vagues, rien qu’avec leurs guitares. Fascinant ! Je ferme les yeux et je « vois » la musique. Un moment inoubliable.
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Ce troisième Pop Hot Show est une réussite sur toute la ligne et on se réjouit de la réponse du public wallon, mais, hélas, il faut déchanter avec le Pop Hot Show 4 les 17 et 18 mai à Trazegnies, près de Charleroi. Les dates sont-elle trop proches du précédent ? Est-ce parce que Yes qui devait être en tête d’affiche s’est désisté suite au départ de son guitariste Peter Banks ? Toujours est-il qu’il n’y a pas assez de monde et que l’organisateur ne rentre pas dans ses frais.
Pourtant on y vit un grand moment le premier jour : la prestation des Wild Angels ! Ces Anglais qui ont choisi de perpétuer le rock des pionniers sont en avance de dix ans sur le « revival » rockabilly du début des années quatre-vingt. Ils ne jouent que les plus grands « classiques » du genre : « Summertime Blues », « Long Tall Sally », « Jailhouse Rock », « Be Bop A Lula » etc.
Chacun des cinq membres du groupe semble être le compendium de tous les clichés scéniques de sa fonction. Le chanteur monte sur le piano, le pianiste joue avec les pieds, le bassiste grimpe sur les épaules du chanteur, le batteur se met debout sur ses caisses, le guitariste se roule par terre. C’est irrésistible ! La réaction du public est en fonction : une émeute ! Des filles hurlent comme si elles étaient possédées, des gars prennent les barrières de protections d’assaut, la scène est envahie… Mal Gray, le chanteur, est porté en triomphe… Un grand moment de rock and roll. |
18 mai 1970 - Trazegnies- Pop Hot Show 4 -
Wild Angels (photo Jamin) |
Le deuxième jour (un lundi de Pentecôte) est moins mouvementé mais permet de découvrir Vacation un groupe local qui a manifestement tout compris. Je profite d’un temps mort entre deux groupes pour pousser Friswa sur scène. Assis, comme un vieux bluesman, il y va d’un tempo irrésistible, fait taper des mains le public intrigué pour l’accompagner, se lançant dans quelques imitations amusantes avec sa guitare.
Ovation. Diaboliquement, alors qu’il quitte la scène ayant fait son petit effet, j’annonce : « Il y en a quatre comme lui dans Jenghiz Khan ! ». La rumeur est lancée : Jenghiz Khan … Ce doit être quelque chose ! Le programme s’achève avec l’Edgar Broughton Band, toujours décidé, comme avant Blind Faith à Hyde Park, à exorciser les démons du monde moderne : « Out Demons Out » ! … Trop tard !
Il faut le reconnaître : en un an, les firmes de disques installées en Belgique ont tout de même fait quelques progrès en matière de promotion. C’est ainsi que je me retrouve dans l’un des fauteuils rouges du prestigieux Royal Albert Hall de Londres, invité par CBS dans le cadre d’une opération The Sound Of The Seventies . But : faire découvrir quelques uns des nouveaux chevaux de bataille de la firme : Johnny Winter, Santana, Flock, Steamhammer, It’s A Beautiful Day.
Johnny Winter |
J’apprécie la parfaite organisation britannique qui semble avoir pensé à tout depuis le moment où l’on atterrit à Heathrow, et le fait que les journalistes anglais avec lesquels je me retrouve soient de ma génération et en ont le look vestimentaire et capillaire. Ça me change des conférences de presse belges où, même si elles traitent de pop-music, je suis habituellement entouré de collègues plus âgés, en costume-cravate et à la calvitie naissante. Tiens, à propos de look, il y en que la vie n’a pas gâté. Les deux soirées sur lesquelles s’étale le programme sont précédées de la possibilité de réaliser des interviews entre les répétitions de l’après-midi et j’ai droit à la vedette, Johnny Winter.
Depuis un an la popularité de ce chanteur-guitariste américain qui pratique un blues-rock énergique est en pleine ascension. Il n’a rien inventé à part le long-playing à trois faces, mais ce qu’il fait, il le fait vraiment très bien. Cela dit, physiquement, on peut dire que la nature lui a fait quelques vacheries. Il est albinos et a un long nez, ça on le sait, mais lorsque je suis mis en sa présence je ne peux m’empêcher de penser : « Pauvre gars, déjà qu’il n’est pas beau, il louche en plus ! ». Pendant que l’attaché de presse nous trouve un coin tranquille pour discuter, je suis partagé entre la pitié et l’admiration pour ce type qui a réussit malgré ses disgrâces. Mais c’est quand l’interview commence qu’un dernier détail m’achève : on ne peut le deviner quand il chante, mais, quand il parle, Johnny Winter est bègue ! Gravement. |
Kesskis’passe ?
Lord Sutch qui s’est fait remarquer avec un album (77) où il était accompagné par des gens comme Jimmy Page (qui en était le producteur), John Bonham, Jeff Beck, Nicky Hopkins et Noel Redding, se présente aux élections anglaises. Son programme : réintroduire le service militaire pour ceux qui ont 18 ans. L’armée serait rebaptisée « Corps d’amour » et son but serait de répandre l’amitié et le bonheur au lieu de la mort et la destruction. Équipement : un tourne-disque portatif, des colliers de fleurs, etc. Défense de claquer les talons : ça abîme les chaussures à la mode.
Lorsque sort « Let It Be », le dernier album des Beatles, quelqu’un casse la vitrine d’un disquaire bruxellois durant la nuit. Pour ne voler que ce disque-là.
Les différentes « radios pirates », émettant pour la plupart à partir de bateaux ancrés en dehors des eaux territoriales, ont autant de succès que de démêlés avec les autorités des pays que leurs émissions visent. En Angleterre il y a un projet d’installer un émetteur dans un avion qui volerait chaque nuit.
Les membres du Led Zeppelin sont faits citoyens d’honneur de la ville de Memphis. Ce n’était plus arrivé depuis Elvis Presley.
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Confusion entre Black Sabbath et Black Widow. Si le premier se contente comme jeu de scène d’exhiber un chanteur grassouillet (78)qui tient la plupart du temps les bras levés en faisant des signes « V » des index et des majeurs, le second y va de tout un rituel de sorcellerie incluant la présence sur scène d’une fille plus ou moins dénudée. Résultat : invité à se produire pour la télé allemande le Sabbath reçoit six billets d’avions : quatre pour les musiciens, un pour le manager et un pour « la victime de leur sacrifice »
On apprend l’existence d’un enregistrement réalisé en 1957 où Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Johnny Cash et Carl Perkins chantent et jouent ensemble. On baptise cette association exceptionnelle Million Dollar Quartet, et on spécule sur la possibilité de sortie d’un album (79).
Sortie de l’ album « Woodstock ». Je suis épaté par la qualité de l’enregistrement pour un « live » et, à cause du nombre de grands noms qui y figurent, je le décris comme « plus que simplement le premier triple album, c’est une véritable anthologie de la musique pop. Mieux : un témoignage historique. » Je conclus : « Si vous ne devez acheter qu’un seul disque dans toute votre vie, achetez celui-là ».
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« Woodstock » ! En Europe, le festival de l’île de Wight avait impressionné par sa dimension et son bon déroulement au point qu’il s’était trouvé un chanteur français (80) pour célébrer l’événement dans une chanson intitulée « Wight Is Wight » (aux paroles complètement débiles d’ailleurs (81) ).
Ce n’était pas le premier « méga-festival », cet honneur revenant à celui de Monterey (1967) célébré, lui, plus brillamment, par Eric Burdon dans la chanson de même nom (82). Mais c’est Woodstock, qui se déroule quelques jours après Wight et aux U.S.A., passant presque inaperçu à l’époque de ce côté-ci de l’Atlantique, qui va devenir un mythe, une référence. On ne s’en rend pas compte sur le moment, mais c’est en grande partie grâce à une brillante opération de marketing. En effet la parution du premier triple album de l’histoire du rock, réunissant les talents d’entre autres le Who, Jimi Hendrix, Joe Cocker, Santana , Jefferson Airplane, Crosby Stills, Nash & Young, et Canned Heat précède la sortie d’un film sur l’événement.
Là aussi Monterey avait été le premier, mais il faut reconnaître au réalisateur Michael Wadleigh le mérite d’avoir épaté tout le monde par la qualité de ses prises de vue et son montage. Comme film, « Woodstock » est plus qu’un best of du festival, c’est un témoignage sur le phénomène de société qu’est devenue la pop-music à la fin des années soixante, c’est le portait d’une génération, et c’est une histoire (celle des organisateurs et de la foule dépassée par son ampleur) passionnante.
Les producteurs en ont compris tout le potentiel et, c’est nouveau pour le genre, le film bénéficie de tout l’appui promotionnel habituellement réservé aux grosses productions comme « Butch Cassidy And The Sundance Kid » ou « Tora !Tora !Tora ! » (pour citer des contemporains).
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En Belgique, « Monterey Pop » n’est jamais sorti, mais « Woodstock » a droit à une avant première dans la salle bruxelloise du cinéma Variétés. Elle a un écran géant pouvant accueillir les projections en cinérama.
Dès les premières images, l’effet est dévastateur. Quand on arrive au Who pour lequel l’écran est divisé, multipliant les effets de franges de Daltrey et les sauts de Townshend, c’est l’extase.
Pendant trois heures le public présent est fasciné. Et pourtant il est majoritairement composé de gens qui ont déjà vu ou participé eux-mêmes à pas mal d’évènements musicaux .
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Je note dans ma colonne Papote » que sont présents des membres du Wallace Collection, des Pebbles, des Tenderfoot Kids, du Kleptomania, du Carriage Company, du Jenghiz Khan et Francine Arnaud, Jo Dekmine, Marc Moulin, Jacques Mercier, Claude Delacroix , Michèle Cédric etc.. Comme si tous ceux qui de près ou de loin touchent « professionnellement » à la pop-music voulaient être là. Ils ont raison. Programmé à partir du 6 août 1970 dans les salles « Woodstock » va profondément influencer le monde pop/rock durant les années qui vont suivre.
Jenghiz Khan - 1970 - (J.Jième)
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Cela va faire six mois que le Jenghiz Khan répète. Le style musical du groupe est hérité directement du Vanilla Fudge : orgue grandiloquent, guitare heavy, harmonies vocales poussées à l’extrême où dominent les voix de Tim et de Friswa. Ils composent, j’écris les paroles, suggère les arrangements, souvent fort élaborés. Je ne sais pas lire une note de musique et suis incapable de jouer d’un instrument ou de chanter juste, mais ces gars ont une totale confiance en moi.
Avec des explications comme « Pour le break, là, tu te souviens du riff de « You Really Got Me » des Kinks ? Essaie un peu de t’en inspirer. » ou « Non, là il faut que ce soit très doux, puis crescendo et crac-boum la batterie rentre dedans ! » je les mets sur ce que j’estime être la bonne voie. Un soir, en me rendant à une répétition, un air me vient en tête dans ma voiture. J’ai mon enregistreur à cassettes pour les interviews toujours avec moi. J’enregistre l’air en le sifflant. Arrivé au local de répétition je fais écouter ça à Friswa.
Immédiatement il joue l’air à la guitare. C’est une ballade. Très simple. |
Mais tout le monde est d’accord pour la travailler. J’écris des paroles à propos d’une la fille qui allume le désir : « The Lighter » que je l’appelle. Le talent des gars du Jenghiz, - ils en ont, ce n’est pas pour rien que je les ai choisis - fait le reste. Même si nous regrettons que le brave Remy Bass n’ait pas une personnalité assez forte pour être aussi une force créatrice dans le groupe, nous avançons. C’est l’enthousiasme, et l’équipe meurt d’impatience de se produire en public. Pas de précipitation surtout. On commence dans une petite salle devant les copains pour recueillir des avis. Ils sont partagés. Manifestement le groupe a besoin de se rôder… et d’un meilleur matériel d’amplification. J’ai un peu d’argent de côté, je le prête à Tim qui s’occupe du problème. Il est l’organisateur du groupe, il a le sens pratique…et une camionnette ! |
Avec l’été les festivals fleurissent partout. Cette année, la Guitare d’or de Ciney qui a lieu le dimanche 28 juin coïncide avec deux grosses manifestations, l’une à Bath en Angleterre, l’autre à Rotterdam en Hollande. J’estime que je dois accorder la priorité à ce qui se passe chez nous même si, avec son chapiteau sur la grande place de la ville, Ciney fait plutôt minuscule à côté des deux autres. Et puis… Difficile de nier que le fait que depuis des mois j’ai désigné Family comme mon groupe favori du moment, a eu une influence sur le choix de Jean Martin de choisir le groupe de Roger Chapman comme tête d’affiche. À ma grande satisfaction, je rencontre donc mon « idole ».
Chapo comme l’appelle ses fans, est aussi simple, avenant et sympa hors scène qu’il a l’air distant, dangereux et possédé lorsqu’il est dessus. C’est ma première interview un peu consistante. Il me parle des progrès du groupe, des festivals, du prochain album. |
Roger Chapman |
The Greatest Show on earth |
Mais vu le programme, une fois de plus super chargé, Family ne se produira qu’aux petites heures du matin devant un public épuisé qui n’aura même pas la force de réclamer un rappel et c’est un autre groupe anglais passant à une meilleure heure, The Greatest Show on Earth qui, avec un guitariste qui s’inspire du jeu de scène de Pete Townshend et un organiste qui secoue ses claviers comme Keith Emerson, sera la révélation de Ciney 1970. (83)
Le gag de la journée venant du groupe français Dynasty Crisis (plutôt atroce musicalement mais marrant sur scène) parce que son chanteur au crâne rasé se nomme Jacques Mercier !(84)
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J’ai donc raté Rotterdam qui s’étalait sur tout le week-end et c’est dommage car l’événement se révèle « woodstockien » toute proportions gardées : 70.000 personnes c’est une première sur le continent européen pour de la pop-music. Heureusement, mes potes de la maison des jeunes de Woluwe-Saint-Lambert, Philippe Grombeer et Marcel De Munnynck, y sont. Ils me racontent tout. Je rédige donc un compte-rendu de trois pages (avec un encart sur Bath où le Led Zeppelin a joué trois heures) que nous cosignons. Canned Heat, Flock, Santana, Tyranosaurus Rex, Byrds, Family It’s A Beautiful Day et Pink Floyd sont cités comme meilleurs souvenirs.
Bel été. Même le plus gros hit du moment « In The Summertime » par Mungo Jerry y fait allusion. Tiens, c’est vrai: c’est la saison des vacances. Quoi !? Qu’est-ce que j’apprends ? Comme salarié, on est obligé de prendre des vacances ! ? Mais, mais , mais… Que va devenir ma rubrique ?
Kesskis’passe ?
Les hits de l’été : « In The Summertime » par Mungo Jerry semble être numéro un peu partout dans le monde. Chez nous, il a détrôné « El Condor Pasa » par Simon & Garfunkel. À part ça « Spirit In The Sky » par Norman Greenbaum, « Instant Karma » par le Plastic Ono Band, « Run Through The Jungle » par Creedence Clearwater Revival, « Let It Be » par les Beatles, « Get Ready » par Rare Earth, « Sympathy » par Rare Bird, « Yellow River » par Christie, « Spring, Summer Winter and Fall » par l’Aphrodite’s Child, «Back In The Sun » par Jupiter Sunset, « All Right Now » par Free, « Lady d’Arbanville » par Cat Stevens sont les grosses ventes pop du moment. Côté belge, seuls les Pebbles avec « 24 Hours At The Border » atteignent une place significative dans notre hit-parade des disquaires. Dans notre Hit- Parade des Jeunes les lecteurs votent surtout pour le premier album de Black Sabbath, le triple « Woodstock » et le « In Rock » de Deep Purple . Les L.P.’s « Let It Be » des Beatles, « McCartney » de Paul McCartney, « Benefit » de Jethro Tull , « Cricklewood Green » de Ten Years After, « Live At Leeds » du Who, « Band of Gipsys » de Jimi Hendrix et « Five Bridges » du Nice atteignent aussi des places respectables.
« Live at Leeds » considéré comme récapitulatif de la carrière du Who sort en Angleterre avec tout un tas d’archives glissées dans la pochette : un bon de livraison pour des fumigènes, un avis menaçant le manager du groupe de poursuites s’il ne rend pas deux amplis, une liste d’engagements, le contrat du groupe pour «Woodstock », une affiche du Marquee, etc. Or, à la sortie de l’album en Belgique seule l’affiche est jointe. Je dénonce l’arnaque, publie des reproductions de certains documents et la semaine suivante Polydor qui distribue le disque m’envoie une déléguée pour annoncer que désormais tous les documents seront dans la pochette.
Pour donner un coup de pouce à la cuvée actuelle des groupes belges, je réunis les membres du Carriage Company, de Burning Plague, de Kleptomania, de Doctor Downtrip, de Jenghiz Khan et de Recreation pour une séance de photos en commun au Mont des Arts à Bruxelles. Un moment sympa. La plupart de ces gars sont unis par une certaine solidarité. En effet, ce n’est toujours pas vivable d’être musicien pop/rock/blues en Belgique. Même ceux qui ont enregistré un disque et peuvent se produire quelque part (la plupart du temps guère plus de cinq ou six fois sur un mois) doivent avoir un autre boulot pour survivre.
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Peter Green a quitté Fleetwood Mac et on ne donne pas cher de l’avenir du groupe dont il était considéré comme l’âme. Quelques semaines plus tard, la pianiste Christine Perfect qui avait quitté Chicken Shack rejoint son mari John Mac Vie dans le Fleetwood.
Eric Clapton décide de baptiser son nouveau groupe Derek And The Dominoes
Conférence de presse pour annoncer un festival à…Palerme. Les représentants des organisateurs déclarent (sans rire) : « Vous autres, Belges, vous êtes familiers des festivals. Tout le monde sait que Woodstock et Wight n’étaient que des copies de Comblain-la-Tour »
Le « Puzzle » une boîte de la Petite Rue des Bouchers, dans le quartier de l’Îlot sacré, au centre de Bruxelles, se met à organiser des jam-sessions entre musiciens et à engager des groupes à tour de bras.
Comme je suis donc « forcé » de prendre des vacances, c’est à mon ami Gino Zamboni qui m’a suivit depuis les Aigles et a même travaillé comme installateur de fontaines (85) avec moi, que je demande d’assurer mon intérim. Je le considère comme bien informé dans le domaine musical et je sais que c’est un amoureux du travail bien fait. Sait-il rédiger avec l’humour auquel je tiens pour Pop- Hot ? Lecteur assidu de San Antonio (qu’il m’a fait découvrir) il est à bonne école. En fait, il s’en tire si bien que, mon remplacement terminé, on lui propose de rejoindre Alain De Kuyssche pour la rédaction de nos pages de programmes télé.
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(68) À ma connaissance le seul LP à trois faces (la quatrième était lisse) de l’histoire du vinyle
(69) Qui avait la boule à zéro
(70) Chanteur d’opérettes très prisé par les vieilles dames à l’époque
(72) Qu’il faut saluer comme pionnier des concerts rock en Belgique
(74) Orthographié à l’anglaise
(75) « Progressif ou pas ? Quelle importance… » TM 2305 du 2 avril 1970
(76) De l’album « 2 Ozs Of Plastic With A Hole In The Middle »
(77) « Lord Sutch and Heavy Friends »
(78) Un certain Ozzie Osbourne
(79) Il faudra attendre les années 80 pour que cela se concrétise
(80) Michel Delpech de triste mémoire
(81) «..viva Donovan et hippy hip pipi »…Faut pas être gêné !
(82) À ne pas rater : son extraordinaire interprétation dans le double CD « Eric Burdon Brian Auger Band – Access All Areas Live »(1993)
(83) Malgré un excellent single « Real Cool World » et un album la carière du groupe fut des plus brève
(84) Le « vrai »Jacques Mercier, animateur de la R.T.B.F., avait encore des tifs à l’époque… Enfin, en apparence.
(85) Voir COEUR DE ROCK
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Mise en page : Jean Jième
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