GRAVÉ DANS LE ROCK
Intégral inédit du second ouvrage de © Piero Kenroll
CHAPITRE QUATORZE
ROCK 74
TÉLÉ MOUSTIQUE N°2500
STONES
Les Rolling Stones viennent ! Dès juin on apprend qu'ils ont l'intention de faire une grande tournée en Europe en automne. Evidemment les agences belges sont sur le coup. Pas de quoi s'affoler. Les Stones ne semblent pas plus populaires que ça chez nous. Même si la situation est meilleure qu'en '66, lorsqu'ils se sont ramassés au Palais des Sports de Schaerbeek avec environ quatre milles spectateurs alors qu'on en attendait quinze mille. Je me rappelle qu'il y a trois ans la pétition que nous avions lancée pour réclamer leur passage par la Belgique n'avait pas fort marché ; et des réponses du genre « Les Stones on s'en fout, on veut Led Zeppelin ».
Même dans notre Pop Poll annuel, catégorie groupe, la bande à Mick Jagger ne figure même pas parmi les dix premiers. A vrai dire, on dirait que les Stones intéressent plus ceux qui ne sont pas vraiment passionnés par le rock que ceux qui le sont. Ce sont plus les scandales, les frasques de Keith Richard avec ses drogues et celles de Mick Jagger dans la jet-set qui suscitent l'intérêt que le jeu de guitare de Mick Taylor. D'ailleurs leur image n'est pas très nette. On peut en effet ironiser sur ce que clamait Jagger au début de la carrière du groupe : « Nous sommes un groupe de blues pas de rock and roll ».
Quant au côté « rebelle » que d'aucuns continuent à accoler au groupe, il ne résiste pas un petit examen. C'est ce que nous faisons en publiant un article acheté par Willy sur « Les dessous de la tournée des Rolling Stones ». On y apprend non seulement l'obsession du groupe pour l'argent, mais les exigences des musiciens stipulées dans le contrat laissent rêveur.
L'organisateur doit mettre, entre autres, les choses suivantes à leur disposition : cinq limousines, dix douzaines de roses, une liste des restaurants de première classe de la ville, deux bouteilles de whisky, trois bouteilles de vin blanc glacé, une bouteille de brandy, une de vodka, du jus d'orange et du jus de pomme, des fruits frais, des plats froids, des fromages et de l'Alka-Seltzer !
Programme Stones 1973
Enfin… C'est Paul Ambach qui s'y colle. D'abord pour le Sportpaleis d'Anvers le lundi 15 octobre. Ensuite pour Forest-National le mercredi 17.
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Les Stones - Sportpaleis - Anvers 1973 © Coerten
Là, il y a deux concerts. En effet, Keith Richard a des ennuis avec la justice française.
La tournée ne passe donc pas par la France, mais une matinée est réservée au public français acheminé en cars.
J'avais tort de ne pas y croire : c'est la ruée pour les places. À Bruxelles on assiste même pour la première fois à une cohue semblable à celles dont on avait l'écho d'Angleterre. Des files se forment devant le principal point de vente trois heures avant son ouverture.
Et tout ça pour un show finalement un peu décevant. À Anvers, Billy Preston qui passe en première partie fait un tabac et est rappelé, les Stones pas.
Faut dire qu'ils se préoccupent surtout de jouer les titres de leur dernier album « Goat's Head So up » et négligent des classiques comme « Satisfaction » ou « Sympathy For The Devil ». Du coup le public qui, comme je le pensais, est plus fait de curieux qui ne connaissent que les plus gros hits du groupe que de fans dans le plein sens du mot, reste sur sa faim.
J'écris : « On aimerait être surpris, en prendre plein la gueule ». Mais il y a même « des moments franchement barbants ». Après dix ans de carrière, les Stones ont vieilli. Pour le moment assez mal, je trouve. Je conclus mon compte rendu en me demandant « Les Rolling Stones vont-ils devenir des vieillards qui refusent de reconnaître leur âge ? ».
Je ne peux évidemment pas encore savoir… |
RAPSAT
Adieu Pierre Raepsaet ! est le titre d'un petit article dans le dernier numéro de Télé Moustique d'octobre. En effet, Pierre a décidé de simplifier son nom et de commencer une carrière solo en tant que Rapsat, tout simplement. Son pote, parolier et producteur Eric Vion, lui a décroché un contrat directement avec une firme de disques américaine, Atlantic , et son premier album sort en novembre, son titre « New York ». En fait, il faut dire « ses premiers albums » car il y aura deux versions. L'une en anglais, l'autre en français. Je me rappelle d'une de nos conversations à la fin de Jenghiz Khan. Je disais à Pierre…
Quoi que tu fasses, si tu chantes, tu dois absolument améliorer ton anglais, même en français, on entend que tu es de Verviers, mon vieux.
Je sais Pierilio, mais ce n'est pas facile de chanter dans une langue qu'on ne pratique pas en conversation.
Tu sais : nous sommes en Belgique, c'est un fichu pays. Tout petit et coupé en deux. Tu as le choix : où bien tu veux continuer à être accepté en Flandre où tu es déjà un peu connu grâce à Jenghiz Khan et tu chantes en anglais. Ça te permet aussi de viser le reste du monde. Une carrière internationale devient possible, mais la concurrence est « mondiale » elle aussi. Ou alors tu chantes en français : tu perds la Flandre, mais tu as plus de chances de te lancer en France. Et là, toi, tu as un gros avantage…
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Ah ? Lequel ?
Pour le moment en dehors du yéyé et de la variété ce que produit la France est loin d'être génial. Les bons musiciens français manquent d'expérience rock. Toi tu l'as. Te lancer dans la chanson française de qualité te ferais sûrement remarquer.
Tu ne serais pas fâché ?
Hein ? Pourquoi ?
Mais tu n'arrêtes pas d'écrire que le vrai rock, ça ne se chante qu'en anglais..
Et alors ? Depuis quand tout le monde serait-il obligé de faire du « vrai rock » ? Ce qui fait évoluer la musique, ce sont les mélanges d'influences, les rencontres, les métissages…
Oui. Je crois que le « vrai rock » ne se chante qu'en anglais, parce que cette langue a l'avantage de comporter une majorité de mots d'une ou deux syllabes et un accent tonique qui convient parfaitement au rythme du rock. Et je vois aussi dans l'anglais une langue qui devient universelle et permettra peut-être un jour à tous les habitants de la Terre de communiquer plus facilement entre eux… Je lis beaucoup de science-fiction, tu sais.
Ah ah ah !… Mais alors un truc en quatre temps avec de la batterie, de la basse et de la guitare électrique, mais chanté en français, comment tu appelles ça ?
J'appellerais ça « de la chanson française influencée par le rock » et ça ne veut pas dire que c'est mauvais. Au contraire, je préfère de loin cela aux bêlantes de Frédéric François…
Mais dans TéléMoustique tu n'écris jamais rien sur ceux qui chantent en français…
Non. Et jamais non plus sur ceux qui chantent en flamand, en allemand, en italien ou en serbo-croate… Je n'ai que quelques pages et le domaine rock est si vaste que je n'arrive déjà pas à traiter de tout ce qui s'y passe. Alors plutôt que de favoriser mes goûts personnels qui considèrent un Bécaud, un Brel, un Polnareff plus touchants qu'un Middle Of The Road ou un Soft Machine, je m'impose une limite au domaine dans lequel je me suis spécialisé. Tu ne demandes pas à un joueur de tennis professionnel pourquoi il néglige le ping-pong…
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Deux ans plus tard donc. Pierre s'offre la meilleure solution : une version anglaise et une version française. Exceptionnel qu'une firme de disque accepte ça pour un « nouveau venu ». Je lui souhaite tout le succès qu'il mérite et, évidemment, il a droit à deux pages d'interview pour la sortie de l'album. Il y parle de sa fascination pour New-York, pour les origines de cette ville, pour son côté monstrueux et de ses craintes que la violence quotidienne qui y règne n'annonce ce qui se passera chez nous dans dix ans, si nous ne réagissons pas.
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C'est une prise de position de ta part. Que penses-tu des musiciens belges à qui l'on reproche de n'être que des « musiciens » et pas des artistes parce qu'ils sont obnubilés par la technique plutôt que par la volonté d'exprimer quelque chose ?
Il y a des musiciens fantastiques qui, techniquement, sont formidables, qui ont fait le Conservatoire, et qui après vingt minutes, n'ont plus rien à dire. La musique, ce n'est pas une batterie, une guitare, un instrument... Ce sont aussi des gars qui jouent ensemble et qui devraient créer quelque chose ensemble. Et ça, c'est un peu le drame chez nous : on n'a pas tellement l'occasion de se rencontrer, de former une bonne équipe.
Après avoir essayé quelques temps, certains font du bal ou du studio parce que là, ils peuvent gagner de l'argent, et qu'ils ont le droit de vivre comme tout a monde. Mais il faut se faire une raison. Si on veut vraiment entreprendre quelque chose de bien et de personnel, ce n'est pas ici qu'on trouvera des moyens pour à faire.
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C'est au niveau des firmes de disques que ça ne va pas. En Belgique, on ne te donnera jamais l'occasion de faire vraiment ce que tu as envie. Ils n'osent pas risquer de l'argent. On ne te donnera jamais de quoi travailler quatre ou cinq semaines en studio. La Belgique, c'est beau, c'est bien, c'est ton pays... mais si tu veux arriver, il faut te magner le cul et aller voir à l'étranger. Regarde Raymond Vincent : j'ai beaucoup d'admiration pour lui. Ce qu'il a fait, aller former un groupe en Angleterre, est vraiment fantastique.
Là dessus, ce premier album fait un saut jusqu'à la huitième place de notre classement des ventes, mais n'y reste qu'une qu'une seule quinzaine. Pierre n'en fait pas moins, in extremis, un tabac dans notre Pop Poll annuel pour ‘73 se retrouvant premier des classements comme chanteur, comme bassiste, comme compositeur et album de l'année.
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Kesskis'passe ?
En septembre, Pop Shop, l'émission pop/rock de la R.T.B. se transforme en Folllies (oui avec trois « l » ) et est déplacée à une meilleure heure : le dimanche en début de soirée. Elle a un nouveau présentateur Michel Gheude.
Pitoyable prestation de Lou Reed à Bruxelles, au Marni, cinéma de la place Flagey qui sert aussi de salle de spectacle. Manifestement défoncé à mort, le chanteur est titubant. Des roadies postés autour de la scène sont prêts à le soutenir. Le guitariste de son groupe sauve les meubles avec ses solos dès que le chanteur perd les pédales… Et tout le monde applaudit ! Je suis profondément mal à l'aise. Ce spectacle d'un homme en train de se détruire me répugne et plus encore ceux qui dans le public applaudissent et crient « More ! More ! »
Split retentissant dans Deep Purple : exit le chanteur Ian Gillan et le bassiste Roger Glover. Ils sont remplacé par un inconnu au chant, David Coverdale et par Glenn Hughes (qui chante aussi) de Trapeze à la basse. Ce dernier se révèle aussi un excellent showman lors du retour du Purple à Forest National en décembre. Du coup le groupe s'y montre nettement meilleur qu'il ne l'était en mars.
The Osmonds Brothers© Paul Coerten
C'est la Osmondmania ! Les frères Osmonds sont la dernière coqueluche pop des minettes. Ils sont mignons, bien propres, bien gentils et Mormons. La plupart des rock-critics se foutent de leurs gueules, mais de passage à Anvers leur dynamisme, le côté spectaculaire de leur show, leur humour et leurs parodies de rock des pionniers en impose. Lorsque le petit Jimmy déboule pour chanter « Hound Dog », il se démène tellement que j'écris qu' « à six ans il a plus de présence sur scène que tous les groupes belges réunis ».
Pour une émission télé David Bowie enregistre « I Got You Babe » de Sonny and Cher en duo avec Marianne Faithful habillée en nonne.
Status Quo rocke le Marni mais c'est le groupe de première partie qui fait figure de révélation. Il s'agit du Sensationnal Alex Harvey Band qui pratique un rock plein d'humour. Alex a des allures qui rappellent Vince Taylor et le guitariste Zal Cleminson, grimé comme un clown, intrigue tout le monde.
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Ça y est ! Golden Earring tient un hit mondial : son « Radar Love » cartonne partout. Par-dessus le marché le dernier album du groupe, « Moontan », est une petite merveille. En novembre, le groupe est le premier de calibre international à faire une véritable tournée en Belgique (Bruxelles, Anvers, Louvain, Liège, Tournai). Il épate tout le monde avec un système d'amplification quadriphonique qui fait jaillir le son autour du public, lui donnant l'impression que les musiciens se projettent en différents points de la salle. C'est du délire ! Je considère le concert au Marni comme l'un des meilleurs de l'année.
Le vinyle étant un produit à base de pétrole, il y a une crise du plastique en Angleterre et en Amérique. La production n'arrive plus à satisfaire que 75% de la demande pour le pressage de disques.
Par l'originalité de la mise en scène de Norman Jewison le film Jesus-Christ Superstar est tout à fait à la hauteur du disque. Mais Pierre Rapsat me téléphone de Liège catastrophé : le film n'y est visible qu'en version doublée en français. « Un désastre » me signale-t-il.
Concerts décevants pour King Crimson, Santana et Amon Duul II. Pour le premier, au Marni, la seule parole adressée au public est « Ta gueule ! » et le groupe n'atteint jamais la grandeur qu'il a sur ses disques.
Pour le second, à Forest National, Carlos Santana qui, depuis qu'il est disciple de je ne sais quel gourou, se fait maintenant aussi appeler Devadip, commence par réclamer une minute de silence pour se recueillir (On n'est pas ici pour rigoler !) puis le groupe se lance dans une succession d'improvisations barbantes et laborieuses. Je m'interroge : « Qu'est devenu le groupe chaleureux, dynamique et excitant qui lorsque je l'avais découvert à Londres en 1970 mettait le public en liesse en deux morceaux ? ».
Quant au groupe allemand, à Gand, il se lance dans une cacophonie tellement indescriptible qu'au bout d'une demi-heure le tiers des 150 spectateurs qu'il a attiré ont décampé. |
Kesskis'passe ?
C'est quoi ? Une farce ? C'est ce que beaucoup se demandent lors du passage des New York Dolls au 140. Depuis quelques mois des échos parvenaient d'outre Atlantique comme quoi ce groupe faisait sensation. Les firmes de disques se l'étaient disputé à coup de propositions de contrats fabuleuses et puis on voit débarquer cinq travestis qui ont l'air de Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick and Tich qui joueraient faux et chanteraient mal et ne sont mêmes pas drôles. Malgré ça, une grande partie de la presse rock française va être en extase.
Colin Blunstone au Marni © Paul Coerten
Les autres visites de l'automne : Gary Glitter (Anvers/ Arena ), Hawkwind (Courtrai), Procol Harum sans panache (Bruxelles/ Marni ), Chicken Shack (Courtrai, Opwijk), Middle Of The Road (Bruxelles/ Marni, Namur), Colin Blunstone une nouvelle fois formidable (Bruxelles/Woluwé), Ray Charles (Courtrai), Slade égal à lui-même ( Forest National, Courtrai), Shirley Bassey (Bruxelles/ Beaux Arts ), Flock (Charleroi), Country Joe (Bruxelles/ 140 , Louvain, Liège), Caravan ( Bruxelles / Marni ), B.B. King (Bruxelles / Marni ), U.F.O. (Courtrai), Uriah Heep à nouveau irrésistible et Mc Guiness Flint (Forest National), Greenfield & Cook impeccables (Bruxelles/ Passage 44), Donovan qui tient Forest National en haleine tout seul avec deux guitares et un verre de jus d'orange, Billy Paul et les O'Jays (Anvers/ Roma ), et l'increvable Rory Gallagher (Bruxelles / Marni ).
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Dans les ventes … Les nouveaux venus arrivant à se maintenir dans le classement des albums à succès sont « Goat's Head Soup » par les Rolling Stones , « Moontan » par Golden Earring , « Sweet Freedom » par Uriah Heep , « Live » et « Selling England By The Pound » par Genesis et « Sladest » par Slade qui dispute la première place à…Julien Clerc.
Côté singles le glam-pop attaque avec Slade et « My Friend Stan », Sweet et « Ballroom Blitz » et Suzi Quatro et « 48 crash » . La pop est aussi représentée par « Angie » des Rolling Stones, « Goodbye, My Love, Goodbye», « My Friend The Wind » et « Someday Somewhere » de Demis Roussos qui, décidément, débite sa « soupe » à pleines louches, « Photograph » de Ringo Starr, et même par une timide apparition d'un groupe belge, Salix Alba fondé par l'ex–Wallace Collection Marc Herouet avec « Oh Ma ! ». Mais, à côté de ça, on a aussi droit aux tubes de gens comme Christian Vidal, Emmanuel Saint-Laurent, Christian Adam, Pierre Charby, etc… Le tout gros succès appartenant au duo d'humoristes Guy Bedos et Sophie Daumier avec « La drague ».Très marrant la première fois qu'on l'entend. Insupportable à longueur de journée.
Moi, je m'extasie en vain devant les albums « Voice » par Capability Brown, « Mott » par Mott The Hoople, « Marvin & Farrar » par Marvin & Farrar, « Second Album» par Greenfield & Cook, « Pinups » par David Bowie, « Berlin » par Lou Reed, « Chameleon In The Shadow Of The Night » par Peter Hammill, « Nine » par Fairport Convention , « These Foolish Things » par Bryan Ferry , « Back Into The Future » par Man, « Witness » de Spooky Tooth, « Belly Up » par Dr.Hook , « Quadrophenia » par le Who, « Preservation Act 1 » par les Kinks , « Raised On Rock » par Elvis Presley , « Ferguslie Park » par Stealers Wheel , « Bananamour » par Kevin Ayers et « Rock On » par David Essex .
Et j'ai du mérite ! Car les firmes de disques sortent un maximum pour la fin de l'année, temps des cadeaux. Du coup, en décembre, je me retrouve avec une quarantaine d'albums à écouter par semaine. Comment je fais ? Je les écoute le matin en me lavant, le soir, le week-end, en mangeant, en recevant les copains…Même en faisant des choses que je ne décrirai pas ici … même si ça pourrait faire vendre quelques exemplaires de ce bouquin en plus !
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TÉLÉ MOUSTIQUE N° 2500
C'est la fête ! Nous sortons le Télé Moustique n°2500. L'occasion de rafraîchir un peu la présentation avec une nouvelle entête pour la rubrique et de faire un petit bilan…
« Chez nous, chaque changement de présentation se veut aussi une évolution de la rubrique. Depuis bientôt cinq ans qu'elle existe, il y en a eu pas mal... Nous avons commencé au bas de l'échelle. En faisant des concessions pour ne pas effrayer d'emblée un public qui, à l'époque, était plus intéressé par Adamo que par Jethro Tull. Puis, petit à petit, nous sommes allés chaque fois un peu plus loin. Et petit à petit le rock a eu droit de cité parmi le grand public belge... On a commencé à voir des comptes rendus de concerts dans les quotidiens. Des rubriques semblables se sont créées ici ou là. Avec plus ou moins de succès. Mais « Hot » restait toujours le fer de lance.
Actuellement nous sommes en position de force en Belgique francophone en ce qui concerne le rock.
Nous avons plus de 7.500 inscrits au Pop Hot Club, nous sommes les mieux informés point de vue concerts, une critique favorable dans Plein l'Oreille peut décider du succès d'un disque… Cela, évidemment, c'est grâce à vous, lecteurs qui nous faites confiance. Aussi avons-nous une dette envers vous. Pour cette raison nous voulons que « Hot » soit plus encore à votre service. En 1974 « Hot » sera donc plus exigeant que jamais, plus difficile, plus sévère. II faut que les firmes de disques, les organisateurs de spectacles, les programmateurs radio, de TV, etc... comprennent qu'ils sont, eux aussi, a votre service, comme nous le sommes » |
Piero Kenroll au bureau
Satisfaction et détermination donc. Il faut dire que la condescendance avec laquelle certains « professionnels » traitent le public rock me court toujours sur le haricot. Le fait de sortir des disques avec un retard considérable sur l'Angleterre, le fait d'organiser des concerts à des heures impossibles pour ceux qui habitent loin de l'endroit où ils se passent, sont mes principales bêtes noires. Je fustige les « responsables » (Tu parles ! Souvent des incompétents, oui !) de semaine en semaine. Mon boulot c'est peut-être avant tout l'information, mais si j'apprends petit à petit à devenir un vrai « journaliste » je n'oublie pas qu'avant ça je n'étais qu'un petit ouvrier, un fan frustré qui devait ramer pour écouter la musique qui le passionnait. Chaque jour à présent, je me rends de plus en plus compte de la chance que j'ai d'avoir le droit de faire de mon nez publiquement… Alors je n'ai pas l'intention d'arrêter. |
Mais, comme nous faisons la fête pour ce numéro 2500, je crois aussi bon d'expliquer aux lecteurs que mon job c'est d'écouter les disques, d'en faire la présentation, d'aller aux concerts, de les raconter, d'adapter les nouvelles transmises par les magazines anglais dont nous avons les droits, de téléphoner aux organisateurs de concerts, d'en établir le calendrier, d'écrire les nouvelles belges, de choisir les photos, de rédiger les textes concernant le Pop Hot Club et d'inventer un scénario pour les aventures de Popol, mais que je n'en sortirais pas sans les autres qui collaborent à Hot.
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Ghislaine Thielen |
J.L.Crucifix |
J.N.Coghe |
Ça ne doit pas intéresser grand monde de voir leurs photos. Certains ne paient pas de mine parce qu'ils n'ont pas le look rock de circonstance (Hein, Philippe ?), mais c'est un numéro où l'on se fait plaisir.
Alors, chers lecteurs, voici Ghislaine Thielen qui s'occupe des inscriptions au P.H.C., des hit parades, des commandes et de l'expédition de disques pour les gagnants de nos concours, Jean-Luc Crucifix qui me remplace quand je suis en vacances, Jean-Noël Coghe qui nous fournit des articles sur les vedettes qu'il suit en tournée, Paul Coerten qui fait les photos aux concerts, Yves Baquet qui dessine Popol et fait la mise en page aidé par Philippe Lhoest, Hilde Veulemans qui achète les droits pour publier les textes de chansons et Dominique Donnay qui les traduit, Willy Waltenier mon rédac-chef qui remplace mes expressions salées par des termes plus pondérés et Pierre Campener (lui non plus ne fait pas très rocker) qui corrige mes fautes d'aurtaugrafe … Il y a aussi deux gars qui nous écrivent si souvent que j'ai fini par publier leurs compte-rendus de concerts auxquels je n'ai pu me rendre : Steve Willemans en Wallonie et Alain Varenne en Flandre. Tous contribuent au succès de la rubrique. À leur santé ! |
Paul Coerten |
Yves Baquet |
Philippe Lhoest |
Hilde Veulemans |
Dominique Donnay |
Willy Waltenier |
Pierre Cempener |
Steve Willemans |
Alain Varenne |
POP POLL
Le Pop Poll est devenu un rendez-vous annuel. Il s'est imposé comme bilan des douze mois écoulés. C'est un événement. Le formulaire que les lecteurs doivent remplir paraît, en général, début décembre et est accompagné d'un concours pour gagner des disques. Chaque fois, dans sa présentation, j'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un classement de popularité et non de qualité et j'explique à quoi ça sert…
« Est-il vraiment nécessaire d'établir un classement de vedettes qui, de toute façon, sont déjà populaires ? A vrai dire : non. Mais ça aide. Sur un plan purement pratique. Le journaliste pourra plus facilement s'adresser à ses lecteurs s'il connaît leurs goûts. Le programmateur radio pourra plus facilement satisfaire son public pour la même raison. Enfin, les firmes - Les marchands de musique- devront entendre la voix du consommateur. De là à donner une grande importance à un « poll » il y a un pas.
Comme le hit-parade, la pochette du disque, les amplis, le light-show, il fait partie du rituel rock au niveau de l'accessoire. On pourrait éventuellement s'en passer, mais il manquerait. Dans la même proportion que manquerait la veste en lamé or du chanteur de l'un ou l'autre groupe. Le «poll » est l'équivalent des élections dans ce royaume démocratique qu'est le rock. Par lui, le peuple plébiscite ses distributeurs de rêve… »
Ça fonctionne. Nous recevons entre deux ou trois mille réponses. Au début, quand il y avait moins de bulletins qui nous revenaient, je dépouillais ça moi-même ou avec l'aide de Ghislaine. Maintenant c'est devenu impossible. |
Comme les Dupuis ne veulent pas payer pour que quelqu'un s'y colle, j'ai trouvé une solution. Le dépouillement se fait durant les vacances scolaires de fin d'année et nous faisons appel à des volontaires parmi nos lecteurs. Ils reçoivent des disques en cadeau pour leur peine et ça se passe très bien. Il règne une ambiance sympa dans la salle mise à notre disposition pour comptabiliser les voix. Cette fois, j'ai même pu confier la supervision de tout ça à un lecteur passionné par les classements.
Depuis quelques temps il m'envoyait ses commentaires sur nos hit-parades, me bombardait de statistiques du genre « qui a totalisé le plus de points dans le H.P. des jeunes depuis deux ans » etc. Il est passé me voir à la rédaction, m'a parlé des « charts » du Billboard, m'a expliqué qu'il tenait à jour un fichier où, pour chaque titre, il notait la date d'entrée dans le Top 100, la plus haute position atteinte et le nombre de semaines de présence. Un malade, quoi.
Bref, devant tellement d'enthousiasme pour la comptabilité, j'ai fini par lui proposer d'aider Ghislaine et il a fait si bien que notre petite secrétaire a été soulagée du boulot ingrat de classer chaque semaine les meilleures ventes ou les favoris des lecteurs.
Ce garçon est un méticuleux. Je l'ai donc aussi mis dans le bain pour le Pop Poll . Il s'en est tiré comme un chef. Il s'appelle Bertrand Delporte. Voici l'essentiel des résultats qu'il me remet.
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Côté international, les groupes de l'année sont : 1- Genesis , 2- Slade , 3- Pink Floyd , 4- Yes , 5- Who , 6- Deep Purple ,7- Rolling Stones , 8- Golden Earring , 9- Uriah Heep et 10- Emerson, Lake & Palmer.
Comme chanteurs nous avons : 1- Peter Gabriel , 2- David Bowie , 3- Noddy Holder.
Comme guitaristes : 1- Jeff Beck , 2- Jimmy Page , 3- Rory Gallagher .
Bassistes : 1- Jack Bruce , 2- Marrinus Gerritsen , 3- Tim Bogert .
Batteurs : 1- Keith Moon , 2- Carl Palmer , 3- Don Powell .
Clavieristes : 1- Keith Emerson , 2- Rick Wakeman, 3- John Lord .
Les espoirs : 1- New York Dolls , 2- Golden Earring , 3- Esperanto .
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Disque de l'année : évidemment « Dark Side Of The Moon » par Pink Floyd .
Côté belge, à part l'arrivée en force de Rapsat déjà mentionnée il y a quelques pages, c'est quasiment le statu quo avec l'année précédente, les Pebbles sont toujours numéro un des groupes et Fetisj des espoirs. Démonstration éloquente d'à quel point le rock local a stagné en 1973. |
Chouette, quelque chose de spécial pour commencer l'année : un album intitulé « The Human Menagerie »… « C'est bizarre, ces nouveaux groupes qu'on entend pour la première fois et dont on est sûr, après avoir à peine écouté quelques mesures, qu'ils deviendront un jour d'énormes vedettes. Ce fut le cas pour Roxy Music, ça l'est pour Cockney Rebel ...
C'est un groupe à leader et celui-ci s'appelle Steve Harley. Il chante, écrit, compose, joue de la guitare acoustique et transpire de talent. Sa musique ?
Le super-kitsch, la sophistication poussée plus loin que Bowie avec un peu d'atmosphère du Grand Hotel de Procol Harum et des paroles inquiétantes, presque à la Lou Reed. La formation ? Basse, batterie, violon, piano, avec en plus, sur disque, souvent, tout un orchestre symphonique. L'originalité ne se situe pas sur le plan purement musical, mais dans le climat dans lequel baigne le groupe.
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Cockney Rebel - décembre 1973
Dans un morceau comme « What Ruthy Said » le rythme fait un peu Roxy Music, mais c'est surtout dans les ballades grandiloquentes que Cockney Rebel excelle : « Sebastien » qui sort d'ailleurs en single, et l'étonnant « Death Trip », meilleure plage de l'album à mon avis. Bien qu'il soit difficile de faire un choix. Original, nouveau, jeune et arrogant…. Inutile de préciser que Cockney Rebel va faire un malheur... Et qu'il commencera sans doute avec cet album. » |
Après avoir écrit ça, je m'intéresse au « cas » Steve Harley. La presse anglaise est unanime : c'est une grande gueule. Ce qui est du pain bénit pour les journalistes. Quoi de plus facile que de faire sensation avec un gars qui aligne les déclarations incendiaires ? J'y ai droit aussi. La firme de disques nous emmène à Amsterdam où Cockney Rebel donne un concert privé pour la presse continentale et j'interview son leader. C'est vrai qu'il n'est pas modeste, mais pas vaniteux. Il me laisse plutôt l'impression d'un futé qui est prêt à raconter n'importe quoi pour qu'on parle de lui.
Steve Harley - décembre 1973
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Il m'explique entre autres choses qu'il se sent plus comme faisant partie du show-business que de l'histoire du rock, que ses influences sont Nat King Cole et Frank Sinatra, qu'il n'aime pas les guitaristes actuels et qu'il n'en veut pas s'il ne peut pas avoir Hendrix, Clapton ou Peter Green, que la période Woodstock était la période où nous étions tous minables, la musique était minable, la tenue de scène des musiciens était minable, ils étaient habillés et négligés comme leur public.
Public qu'il faut initier, qu'il faut emmener loin de la banalité, auquel il faut en imposer émotionnellement. Et que c'est impossible en polo et en jeans…
Faut dire qu'habillés en satin brillant avec des pantalons et des vestes aux grands revers roses, lorsque qu'ils passent en février au Beurschouwburg à Bruxelles, les musiciens de Cockney Rebel ne manquent pas de mine.
Mais, très vite, on se rend compte que la mégalomanie de Steve Harley n'est sans doute qu'une farce. « Nous sommes les meilleurs, les plus fantastiques, les plus merveilleux… » fanfaronne-t-il avec un clin d'œil complice.
Cela dit, il brûle les planches. Il sait comment s'adresser au public, comment le séduire. Petit, pâle, chétif et boiteux, il a l'air à la fois tellement fragile et tellement intelligent qu'il se taille immédiatement un gros succès auprès des demoiselles.
Bon, la musique du groupe est parfois plus proche du tango et de la valse que du rock. Mais c'est sans risque qu'au milieu du concert Steve ironise: « Ceux qui sont venus en espérant découvrir quelque nouvelle formation de rockers tapageurs doivent s'ennuyer à mort ». Car, à ce stade, il a déjà mis tout le monde en poche.
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Tiens ? Le 19 février. Wow ! Il y a cinq ans que je suis là. Cinq ans ! Un lustre ! Mince : comme c'est passé vite ! Où est le petit gars impressionné par l'ambiance de la rédaction du « grand magazine » ? Il s'est perdu quelque part entre Bilzen et Forest National , je suppose. Donc, la rubrique rock de Télé Moustique est devenue une référence, le tirage continue de monter… Certains vont jusqu'à prétendre que je fais la pluie et le beau temps dans le domaine musical en Belgique… Hé ! Je n'ai pas demandé ça, moi. Tout ce que je voulais c'est faire mieux connaître le rock pour… Pourquoi au fond ? Pour que d'autres que moi aient la chance d'en profiter ou pour qu'il me soit plus facile d'y avoir accès moi-même ? Généreux ou calculateur ? Faudra que je médite là-dessus.
Ce qui m'inquiète plus, c'est la date. 1974. Or, je suis né en décembre 1944. Misère ! A la fin de l'année, j'aurai trente ans. Trente ans et je m'occupe d'une musique dont le public potentiel se recrute surtout chez les adolescents et, comme on le dit dans le marketing, chez les 18-25. Combien d'années encore avant de devenir un vieux con ?
Piero 1974 |
Je me souviens de cette maxime répandue à la fin des sixties : « Never trust anyone over thirty » (26). Je me souviens du film « Wild In The Streets » que j'ai vu en 1968 où les jeunes se révoltaient et reléguaient les plus de trente ans dans des réserves. A l'époque ça m'avait fort amusé. C'était caricatural, d'accord, mais certains de mes copains avaient pris ça au premier degré. Et me voilà donc entamant la dernière année de ma vie où je peux encore jouer au gamin. J'ai beau me consoler à l'idée qu'Elvis, Lennon, Jagger et pas mal d'autres sont plus vieux que moi, je dois me rendre à l'évidence : je suis un « adulte ». Est-ce que je vais encore continuer à faire le « pierrot » longtemps sans avoir l'air ridicule?
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Mise en page : Jean Jième
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