Après une histoire du blues très résumée, Guralnick rend compte de ses rencontres avec l'immense Muddy Waters; Johnny Shines; Skip James; Robert Pete Williams; Howlin' Wolf (à Cambridge); Jerry Lee Lewis; Charlie Rich et divers protagonistes des légendaires disques Chess.
Il faut dire que ces interviews et témoignages datent de la fin des années 60 et du tout début des années 70. Il faut donc les situer dans le contexte de l'époque. Jerry Lee est encore marié à Myra; Guralnick ajoute en post-scriptum seulement l'écho de Rolling Stone du 7 décembre 1970, annonçant le divorce (en mauvais termes) de Jerry et de celle qui a failli être la cause d'une fin très prématurée de sa carrière, à Londres en mai 1958. Cela lorsque la meute médiatique s'est déchaînée contre lui, à cause du trop jeune âge de son épouse-enfant (selon eux) Myra.
Jerry Lee, lors de l'interview de Guralnick, se trouve au sommet de la vague country qui le relance à cette époque. Alors qu'aujourd'hui c'est bien son côté «pionnier essentiel du rock and roll» qui est son image première.
Pour le chapitre sur Charlie Rich, écrit après l'avoir vu dans un club quelconque et non situé géographiquement, le Vapors (probablement à Memphis), Guralnick se livre à son intelligent et sensible mélange des genres habituel. Son compte rendu du moment, en alternance avec l'histoire de l'artiste. Un procédé narratif particulièrement bien adapté à ce type de sujet. Une description de cette soirée un peu routinière, sclérosée avec Charlie qui remplit son contrat, sans plus.
Quelqu'un au talent et au background musicaux particulièrement riches, fan de jazz à l'origine, contrairement à tous ces péquenots qui sont passés, comme lui, par les studios de Sam Phillips dans les années cinquante.
Un rocker de circonstance, non de coeur, d'esprit et de viscères. Mais un immense artiste, chanteur-pianiste sensible et créatif.
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Un peu loser... La fin du chapitre Rich précise qu'il s'envole pour Nashville, le lendemain, pour enregistrer son nouvel album.
«Cette fois, espère-t-il, il va vraiment décrocher un hit.» On imagine l'ironie un peu amère qui sous-tend cette phrase, écrite en 1970. Tous ces artistes qui attendent Godot... L'inatteignable succès qui toujours se défile...
C'est en 1974 que l'on a pu entendre Rich du matin au soir, avec ses deux tubes immenses The Most Beautiful Girl (créé par un certain Norro Wilson) et, dans une moindre mesure, Behind Closed Doors. Comme quoi le cours des choses peut parfois prendre des tours inattendus ! Que Guralnick ne prévoit pas du tout en 1970 !
On suit avec grand intérêt la quête de détective pour trouver un grand bluesman oublié, Robert Pete Williams, dans sa ville de Rosedale en Louisiane.
On constate que le géant Muddy Waters vit simplement à Chicago: toutes les légendes du blues n'ont pas la mégalomanie d'un John Lee Hooker !
Howlin' Wolf est une force brute de la nature, un personnage primaire et génial, du genre «larger than life».
Des intervenants comme Phil Chess et son neveu Marshall (qui vient de prendre les rênes du pouvoir après la vente de Chess à GRT en 1969), ou le grand Willie Dixon et d'autres encore éclairent l'une ou l'autre facette de la richissime histoire de ce fabuleux label Chess Records. Bizarrement ou inévitablement (le personnage n'est pas facile), nul témoignage de Chuck Berry.
Johnny Shines raconte son histoire avec verve. Un bluesman plus «sophistiqué» que d'autres. Skip James, lui, a beau avoir été (re)découvert au festival de Newport en juin1964 (notamment par le futur Canned Heat Henry Vestine), il reste amer et se sent incompris et non apprécié à sa juste mesure. Ce qui est probablement vrai.
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