En novembre 1961, j'apprends par les journaux que Dick Rivers et ses Chats Sauvages viennent se produire à l'Ancienne Belgique.
Ils viennent de sortir un album chez Pathé-Marconi avec neuf titres : la plupart des traductions en français de chansons anglaises : Oh ! Baby Tu Me Rends Fou - Amour Et Rock - C'est Pas Sérieux - Sans Raison - Viens danser Le Twist - Yeh ! Yeh ! Yeh ! - Twist à Saint-Tropez - Oh ! Boy - Les Genoux qui craquent et même un grand classique de Ray Charles : What'd I say traduit en Est-ce que tu le sais ?
Mais peu importe l'« odieux » plagiat de certains titres originaux. En 1961, je n'y songe même pas. Je suis sous le charme de ce chanteur à la voix chaude et méridionale, né sur la côte Niçoise.
Dick est jeune tout comme ses copains musiciens, les Chats Sauvages et ils ont l'air passionné par ce qu'ils font. Je les admire également, pour leur audace, leur culot d'essayer ainsi de révolutionner la vie pépère et sans relief de nos parents.
Pour moi, ce sont des pionniers, des exemples à suivre. Ils incarnent le modernisme et ouvrent une brèche à la jeunesse toute entière. C'est du moins comme ça que je ressens les choses.
Mon âme d'adolescent préfère Dick à Johnny, un peu trop loubard pour moi. Je me sens plus proche du style copain-copain des Chats qui me font un peu penser aux Shadows, que j'admire mais que je n'ai pas encore eu l'occasion d'applaudir.
Le 11 novembre, vers dix-neuf heures trente, je fais la file devant l'Ancienne Belgique. Les jeunes déferlent de partout. Au bout de quelques minutes, j'arrive au guichet et règle mon droit d'entrée.
Elles paraissent pour le moins décontenancées. J'aperçois des flics, en casque blanc (voir Quick et Flupke) postés à quelques coins stratégiques de la salle.
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D'emblée, je ressens une joyeuse atmosphère de fête. Je me sens grisé par ce grand rassemblement de jeunes qui affluent et remplissent la salle en moins d'un quart d'heure.
En première partie des Chats, les deux Henrietty (trapézistes), Josselyne (sic) Andre, «chanteuse de rythme et de charme» (resic), Siki & Son «fantaisie musicale» (des clowns), Jeff Lawrence et enfin la Bertini troupe, acrobaties sur cycles et à la bascule. Autres temps, autres moeurs de music-hall !
Je les félicite pour leur courage. Une heure de remplissage pour faire patienter le public surchauffé. Enfin martèlements de pieds, hurlements et tonnerre d'applaudissement finirent enfin par amener Dick Rivers et ses Chats sur la scène du music-hall.
Dick et ses musiciens très élégants dans leurs costumes bleu électrique galvanisent le public qui se met à twister au grand dam de la direction… et des flics qui veulent que les jeunes restent assis, vissés sur leur siège.
Je me rappelle de quelques cocasses courses poursuites entre fans et policiers. L'un d'entre eux parviendra même à monter sur la scène, pourchassé par l'agent Lambique qui se verra délesté de son casque parti s'envoler dans les balcons. Un moment désopilant qui reste gravé dans ma mémoire.
Heureusement, ces quelques échauffourées sans gravité ne viendront pas ternir la magie de cette soirée marquée par le bonheur et l'insouciance de nos 18 ans.
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