EDMOND JAMOULLE, PEINTRE DE CINÉMA
60 ANS AU SERVICE DES SALLES DE CINÉMA
On a tous ses Madeleine de Proust. Un souvenir, une image qui ravivent des émotions dont nous ne mesurions pas l’importance au moment où nous les éprouvions. Ce peut être une personne, une chanson, un environnement. Mais quand on rencontre la personne en chair, en os et en paroles ou celle qui est à l’origine d’un décor dans lequel, adolescent, on évoluait avec délectation, alors on se sent élu, admis à la Cour des Dieux.
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Eh bien ce sentiment grisant, je l’ai éprouvé en côtoyant Edmond Jamoulle, en le rencontrant à deux reprises, en buvant le café à son domicile en compagnie de Jième Valmont
Artiste, artisan et peintre, Edmond Jamoulle conçut nombre de panneaux géants qui illustrèrent les devantures des cinémas entre les années 1950 et 2000. (Erik Machielsen). |
Interview réalisée le samedi 27 octobre 2018 par Jean Jieme et Erik Machielsen.
LE DESSIN : UNE PASSION PRÉCOCE.
Dès son plus jeune âge, Edmond Jamoulle, Liégeois d’origine, (1) développe de solides dispositions pour le dessin. À seize ans il annonce à son père qu’il voudrait devenir peintre. Désormais résident dans la capitale, Monsieur Jamoulle envoie son fils suivre des cours à l’Académie de Bruxelles tout en l’encourageant à trouver des petits boulots.
Au cours de ses démarches, le jeune homme fait la connaissance d’un artisan dont le métier consiste à peindre des fresques sur des panneaux. L’homme s’appelle René Marlier, il travaille pour le compte de l’exploitant du cinéma Le Français, passage des postes à quelques mètres de la place De Brouckère. Il reproduit les visages et les carrures d’acteurs de cinéma, Jean Gabin, Michèle Morgan, Gérard Philipe.
Pour Edmond, c’est la révélation, il propose aussitôt ses services. Il est si enthousiaste que Marlier accepte de l’engager comme apprenti, il diluera les coloris, blanchira le fond des panneaux à réutiliser et veillera à l’entretien de l’atelier. Ainsi démarre une collaboration qui s’étalera sur quatre ans.
Dans le cercle restreint des peintres, décorateurs et lettreurs de cinéma du début des années 1950, la concurrence est rude et tous les coups sont permis pour débaucher la clientèle des autres. Avec une seule salle, René Marlier n’arrive plus à régler ses factures, il est contraint de déposer le bilan. Son frère Gaston, qui est à la tête de l’atelier Decobel, a la main mise sur l’Eldorado, le Scala et l’Acropole. Il propose à son frangin de se joindre à son équipe, Edmond suit son boss.
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E. J. : C’est au sein d'une équipe de cinq décorateurs que j’ai vraiment appris le métier. Le meilleur de tous, c’était Roger Trente, il avait un coup de pinceau incroyable. Il maitrisait tous les styles : westerns, péplums, polars, films de guerre.
Il était très rapide dans l’exécution de ses toiles. Pour les grands espaces avec chevaux, les champs de bataille, les scènes bibliques, il déléguait à d’autres qui en avaient fait leur spécialité.
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Au début des années 1960, en plein boum de fréquentation des salles , Roger Trente décide de quitter Décobel pour se lancer à son compte. Dans la foulée, il emporte avec lui plusieurs transfuges dont Edmond, deux lettreurs et un jeune décorateur.
E. J. : Roger m’a dit : « J’en ai marre de travailler ici, je vais monter mon propre atelier, si ça t’intéresse tu peux me suivre». (2) Il est allé faire des offres au Victory, à l’Étoile, deux fleurons de la rue Neuve, ainsi que dans une quinzaine de salles de quartiers de Schaerbeek, Etterbeek, Laeken, Molenbeek. Tous les exploitants de salle le connaissaient de réputation, il a de suite cartonné.
Indépendamment du train-train quotidien, Edmond reçoit de nouvelles responsabilités. Ainsi, pendant que l’équipe travaille à la confection des calicots, il s’attelle à la préparation des suivants. Il glisse derrière la lentille grossissante de l’épidiascope les photos destinées à être reproduites, dirige leur faisceau sur le mur.
Ensuite, il positionne la toile vierge dans son axe. En attendant de toucher aux portraits de John Wayne, Kirk Douglas, Burt Lancaster, Tony Curtis, Jeff Chandler, Victor Mature, Jerry Lewis et Dean Martin, il est autorisé à reproduire les silhouettes (3) en arrière-plans.
1. Edmond est né le 14 octobre 1931. Son père était ouvrier métallurgiste.
2. L’atelier de Roger Trente était situé à Schaerbeek, près de la Cage aux Ours.
3. Dans le jargon des peintres de cinéma on appelle silhouette, toute photo ou dia projetée sur un mur et reproduite ensuite en suivant les ombres et les contours des corps ou des visages.
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Cinéma Victory, rue Neuve.
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Victory)
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Scala)
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"POURQUOI NE PAS VOLER DE MES PROPRES AILES ?"
Au fil des semaines et des nouvelles sorties en salle, il arrive que des productions connaissent un tel succès qu’elles restent à l’affiche plusieurs semaines. Ce qui ne fait pas l’affaire de Roger Trente car si les panneaux sont tarifés au film et en fonction de leurs dimensions, ils ne le sont pas sur la durée d’exploitation. Dans ces cas-là, l’équipe se tape moins de boulot et Edmond est le premier à se tourner les pouces.
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E. J. : Roger Trente m’a appelé dans son bureau : « Rien ne t’empêche d’aller bosser pour la concurrence, ça ne me dérange pas. » Je l’ai de suite pris au mot et je suis allé proposer mes services à Émile Colin qui, rue de Veeweyde, travaillait pour le compte de l’Acropole et de l’Eldorado (4).
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J'ai également été sous les ordres d'Albert Heyblom pour l'Aventure et le Vendôme. Chez lui, j’ai appris les techniques de la peinture au pistolet. Ça n’a l’air de rien mais c’est difficile, il faut du temps pour avoir le juste coup de main. J'oublie d'ajouter à cette liste Raymond Elzevir, (alias Ray) qui peignait pour le Métropole.
4.Emile Colin, transfuge de Decobel avait réussi à ramener dans ses filets l’Eldorado, le Scala, l’Acropole et l’Astor. Il n’y a pas de secret, il avait significativement bradé ses tarifs.
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Edmond Jamoulle travaille au pistolet.
En 1963, Edmond constate que Roger Trente et Emile Colin n'ont plus le feu sacré des débuts.
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E.J. On sentait qu’ils étaient fatigués, qu’ils avaient envie de passer à autre chose. Ça m’a donné des idées. Pourquoi ne pas profiter de cette conjoncture pour tenter de voler de mes propres ailes ? J’ai commencé par faire comprendre à Roger que j’avais envie de passer à un niveau supérieur. Sa réponse a été immédiate :
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« Tiens, ça tombe bien, je compte arrêter de peindre pour les salles de cinéma. Si tu te sens d’attaque, je suis tout disposé à te céder mes parts dans l’affaire et à t’octroyer des délais pour me rembourser. »
On s’est mis à discuter chiffres et bilans et on est rapidement tombé d’accord. J’ai ouvert un registre de commerce, repris le bail de son atelier et réengagé ses deux lettreurs. Il m’a alors présenté à ses clients et moi j’ai fait le reste en allant prospecter auprès d’autres exploitants pour leur remettre mes offres de prix. (5)
5. Roger Trente s’engage dans une véritable carrière de peintre. Désormais il reproduit des œuvres de Breughel, Rubens et autres grands Maîtres flamands pour des particuliers, amateurs d’art. Il travaille ensuite pour le musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Il recopie à l’identique l’Agneau mystique sur des panneaux en chêne, comme à Gand, pour le roi Baudouin. Et restaure des toiles de maître pour le compte du musée du Cinquantenaire à Bruxelles.
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Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Scala)
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LE STUDIO 63
Edmond cherche un atelier pour démarrer son affaire. Une fois de plus, Roger Trente est là pour l'aider. Il lui propose de partager avec lui l'ancien cinéma Astrid dans la commune de Woluwe-Saint-Pierre. Pour la circonstance Edmond baptise son nouvel espace de Studio 63.
Le voilà désormais maitre du planning et de la répartition des tâches. Il peut enfin réaliser les portraits et effigies des acteurs et actrices qu'il admire depuis son adolescence : Catherine Deneuve, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Romy Schneider, Clint Eastwood, Dustin Hoffman, Marlon Brando, Kirk Douglas et tant d'autres.
Pour peindre les arrière-fonds, les paysages et les personnages secondaires auxquels il a longtemps été astreint, il forme de nouveaux apprentis. Le voilà, désormais à la tête de commandes pour une vingtaine de salles.
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ANNÉES 60 - LES SALLES DE CINÉMA DANS TOUT LEUR ÉTAT.
Lorsqu’Edmond accède enfin à son rêve de gosse, la fréquentation des salles de cinéma accuse une sérieuse baisse. Plusieurs d’entre elles sont même sur la corde raide, voire pire comme Le Louvre, chaussée de Louvain, qui en 1965 baisse son rideau.
Pour répondre à la chute des recettes, certains exploitants n’hésitent pas à effectuer les travaux nécessaires pour transformer leurs grandes salles en des espaces plus réduits. Dès lors, l’offre en spectacles sera doublée, voire triplée.
C'est l’option choisie par les deux Colisée de la rue du Pont-Neuf (1962), les deux Capitole, avenue de la Toison d'Or (1965), les deux Pathé Empire de la chaussée d'Ixelles, (1967) ainsi que les trois Colisée, rue de Flandre (1969), devenus premier triplex d'Europe. En 1972, le Marivaux se scinde en quatre salles et en rajoute une cinquième au cours de l’année suivante. (6)
6. En 1976, le balcon du rez-de-chaussée sera transformé et aménagé avec deux salles supplémentaires.
Intérieur du Pathé Marivaux avant qu'il ne soit transformé.
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Le Colisée, rue du Pont neuf
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LE QUOTIDIEN D’UN PEINTRE DE CINEMA
Chaque lundi matin, la priorité pour le nouveau patron consiste à téléphoner à chacun de ses clients afin de connaître le programme qui sera diffusé dans ses salles deux jours plus tard. Ensuite, il part chez les distributeurs à la pèche aux photos et affiches publicitaires qui serviront de support pour la réalisation de ses futurs panneaux. Mais, il arrive qu’il n’y ait ni photo ni affiche représentatives du sujet à traiter. Il faut alors se montrer créatif, se débrouiller.
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E.J. Un exemple: on me fournit une photo de John Wayne, le visage inexpressif et les bras ballants. Inexploitable. Le distributeur me donne une consigne : « Edmond, je sais que vous savez tout faire, donnez-lui un air menaçant et peignez-le avec une Winchester dans les mains, ça ira parfaitement ». |
Dans un film d’espionnage avec Curd Jürgens en officier allemand, aucune photo n’était suffisamment dramatique pour attirer le chaland. Qu’à cela ne tienne, on me suggère de l’armer d’une mitraillette. Cette scène n’existait pourtant pas dans le film. Autant le distributeur se montrait satisfait, autant l’exploitant de la salle trouvait à redire, il se sentait floué. |
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Eldorado)
E.J. Le mardi, après la dernière séance ou le mercredi matin au plus tard, tous les décors réalisés devaient être accrochés. Pour le Victory, l’Astor, le Scala et les salles de quartier, en général ça allait assez vite mais pour des grands complexes comme l’Eldorado, c’était une autre paire de manches, il fallait parfois compter trois heures. Un cauchemar les nuits d’hiver dans le froid, la neige et sans éclairage d’appoint.
L’ELDORADO
E.J.: Vu le nombre de panneaux à peindre et à accrocher chaque semaine, on était souvent obligé de travailler une partie du week-end. Le mercredi, au moment de les disposer aux frontons de mes vingt salles, c’était la course contre la montre. L’Eldorado, avec sa fréquence d’une dizaine de panneaux, certains de quatre mètres de haut, donnait le plus de fil à retordre. Acheminés par camion jusqu’à la place de Brouckère, j’étais généralement sur place pour surveiller le bon déroulement des opérations.
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Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Eldorado)
Au préalable, il fallait d’abord décrocher les panneaux de la semaine précédente. Ce que peu de gens savent, c’est que dans la charpente qui donnait sur l’extérieur du cinéma, étaient fixées de grandes étoiles en bois reliées chacune à un filin d’acier.
Les hommes grimpaient dans le toit et ensuite avec des cordes descendaient les étoiles avec les panneaux jusqu’au sol. C’est à ce moment qu’on les récupérait. Pour accrocher les nouveaux, les hommes passaient le filin dans une boucle prévue à cet effet afin de les hisser.
Ensuite, il n’y avait plus qu’à pousser les décors sur des rails fixes et les agencer les uns à côté des autres.
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Eldorado)
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UN ART ÉPHÉMÈRE...
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E.J. Tous les panneaux, les plus grands, les plus beaux, ceux qui nous avaient demandé des dizaines d’heures de travail, et dont on était les plus fiers, étaient méthodiquement blanchis pour être réutilisés encore et encore, jusqu’à usure complète. Je réalise, surtout aujourd’hui, que je pratiquais une sorte d’art de l’éphémère.
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Une des rares exceptions, c’est lorsque j’ai peint "La Cage aux Folles", le film est resté un an à l’affiche. C’est ma réalisation la plus vue et la moins rentable de toute ma carrière. Au bout d’un an de succès , le directeur de la salle est venu me trouver pour me demander d’en refaire une copie flambant neuve.
L’autre était si délavée qu’on avait peine à discerner le titre du film et le nom des acteurs.
À titre de comparaison, le prix des panneaux du Victory revenait à six ou sept mille francs belges (150 à 175 €). Pour l’Eldorado, il fallait compter entre dix et douze mille francs (250 à 300 €).
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"Au Victory, le prix d'un panneau avoisinait les six à sept mille francs."
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... PROCHE DE L’HYPER RÉALISME.
E.J. La superficie des panneaux comptait pour beaucoup, plus elle était importante, plus on gagnait en intensité dramatique. Selon les dimensions qui m’étaient imposées, je jouais soit sur la hauteur (des bras levés au ciel par exemple, des montagnes à escalader) soit sur la largeur (un cow-boy visant un adversaire avec son long rifle).
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Scala)
Je travaillais avec de l’acrylique couleur et m’amusais à mélanger les coloris afin d’obtenir des tons chauds, vifs ou criards. Au pinceau ou avec le pistolet, je n’hésitais pas à forcer les traits du visage des acteurs en accentuant la dureté des regards, des sourires ou des rictus.
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Etoile)
La plupart des acteurs et actrices étaient assez facile à reproduire, mais évidemment il y en avait que je sentais mieux que d’autres. Pour Bronson, Gabin, Wayne et consorts, j’intensifiais leurs traits, barbes ou rides pour les rendre plus virils encore. Par contre pour les actrices, je me suis toujours arrangé pour qu’elles paraissent plus désirables et plus sexy que sur les photos qu’on me fournissait. Ça m’a d’ailleurs valu de me faire remonter les bretelles par Catherine Deneuve, elle-même.
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DES STARS PIQUÉES AU VIF.
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E.J. J’avais reproduit une photo à partir de "Belle de Jour" où on aperçoit l’actrice le dos dénudé. Au lieu de m’arrêter à la taille, j’étais descendu quelques centimètres plus bas. Une avant-première a lieu au Plaza avec Catherine Deneuve, invitée d’honneur, sous l’égide de René Mestdagh, le patron de la salle.
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Vers 21 heures, le téléphone sonne : « Edmond, c’est René ici, peux-tu venir immédiatement. » « Pourquoi ? » « Madame Deneuve tient à te parler. » « Madame Deneuve veut me parler ? Bon, j’arrive. »
Je prends le volant, fonce jusqu’au Plaza, on me présente. « Voici Madame Deneuve » « Ah ? Enchanté » « C’est vous qui avez peint ça ? » « Oui, c’est bien moi.» « Cher Monsieur, Belle de Jour est un film psychologique, pas pornographique. » Je crois un instant qu’elle me fait la remarque à cause du galbe d’un de ses seins qui ressort légèrement. Pas du tout, ce qui la gêne c’est la chute de rein que je lui ai creusée un peu trop bas. Elle poursuit : « Je compte sur vous pour me rhabiller ». Je l’ai assurée que ce serait fait dans les plus brefs délais. Le lendemain, j’ai restauré sa dignité en noircissant la partie litigieuse. Le comble dans cette histoire c'est que quelques années plus tard, je suis contacté par la maison de distribution française du film de Luis Buñuel: « Monsieur Jamoulle, vous pourriez nous exécuter deux copies originales du panneau que vous avez exposé à Bruxelles au Plaza, en son temps ? Le film ressort à Paris pour un gala exceptionnel, nous tenons beaucoup à votre travail de l’époque. »
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Une autre actrice qui aurait été en droit dû m’adresser des reproches, justifiés cette fois, c’est Simone Signoret. La pauvre, qu’est-ce que je l’ai arrangée dans "La Veuve Couderc" et dans Le Chat. Un vrai désastre, je n’ai jamais été fichu de lui peindre une tête convenable, je me demande pourquoi.
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Eldorado)
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« Concernant les acteurs masculins du cinéma français, j’ai une anecdote à raconter. Le jour de l’avant-première de "La Grande Vadrouille", je reçois un coup de fil de Monsieur Gerebos, l'exploitant de l'Astor, affolé. « Edmond, peux-tu venir sans tarder, il y a un gros problème. »
J’arrive à la fin de la séance, au moment du drink. On me pousse devant Louis de Funès qui prend un air menaçant :
« Ah, c’est vous le responsable de l’affichage ?
« Oui, non, Monsieur de Funès, on m’a demandé de, enfin … » « Tut, tut, tut, ne vous justifiez pas, pourquoi avez mis le nom de Bourvil au-dessus du mien ? »
« Ben … »
« Allez, vous allez me changer ça le plus vite possible, n’est-ce pas ? »
Puis, avant de rejoindre les invités, il m’adresse un gros clin d’œil. »
Panneau réalisé par Edmond Jamoulle (Etoile)
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LES ANNÉES 70 ET 80 - FIN DE L’ÂGE D’OR DU CINÉMA.
Au cours des trois premières années de la décennie 1970, pas moins de huit salles de l’agglomération bruxelloise mettent la clé sous le paillasson : Le Mogador à Ixelles (1971), Le Crystal à Molenbeek (1972), Le Faby (1974) et Le Bristol à St Gilles (1972), Le Floréal à Uccle (1973), Le Forum à Molenbeek (1973), Le Rialto à Bruxelles (1973) et le Capri à Schaerbeek (1973). Le Victory, rue Neuve, passe également à la trappe, c’est une grande perte pour les cinéphiles et un funeste déclin annoncé pour d’autres anciennes salles du centre-ville pourtant très populaires. (7)
7. Exception à la règle, l’ouverture du Twins (boulevard du jardin Botanique, 44)
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Fermeture du Victory en 1973
Mais l’hécatombe ne s’arrête pas là, elle se poursuit entraînant la fermeture de vingt autres salles, principalement dans les communes qui ceinturent le centre de Bruxelles.
En 1974, les lumières s’éteignent au fronton du Cinéac Centre au boulevard Anspach, du Léopold Palace, avenue de la Chasse à Etterbeek, du Nova, chaussée d’Haecht, du Monaco, chaussée de Mons à Anderlecht et du Marni, place Flagey, lequel servira ensuite quelques temps à des concerts de pop rock avec Lou Reed, King Crimson, Status Quo etc.
En 1975, c’est au tour du Rio et du Christine à Laeken, du Kinox à Molenbeek, du Dixy à St Gilles, du Molière à Uccle, du Novelty à Etterbeek.
En 1976, dernières séances pour Le Kursaal-Floréal à Uccle, le Wagram à Laeken, le Rio à Anderlecht, l’Erasme à Molenbeek. Et très grosse surprise, l’Astor, rue Neuve et le Century à Saint-Josse déposent à leur tour le bilan. En 1977, le Filmac et le Rio passent à la trappe. Le Chaplin disparait l'année suivante avec le Mirano et le Marignan. Et pour clore le sinistre tableau, citons encore les cinémas Métro de Woluwe-St-Lambert et d’Anderlecht et enfin l’Etoile, l’ancien fleuron de la rue Neuve.
Fermeture du Mirano en 1978
Parviennent à résister : l'Eldorado qui fusionne avec son voisin le Scala. Après d’importants travaux de rénovation nait un complexe unique réunissant sept salles en 1977 avec une huitième l'année suivante.
En 1978, l'Arenberg et l’Aventure, porte de Namur, se scindent chacun en deux salles. Et puis, exception qui confirme la règle, la même année, un tout nouveau complexe de huit salles s'insère au cœur de la galerie commerciale City 2. (8)
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L'Aventure
Si, Edmond garde heureusement quelques solides et fidèles clients, la crise des salles de cinéma est devenu un fait de société. Avec l'avènement de la vidéo et du home cinéma, les amateurs de 7° art regardent désormais les films qui passent sur leur petit écran dans la quiétude de leur appartement. Ne subsistent que les véritables cinéphiles, trop peu nombreux hélas que pour inverser la courbe inexorable de la baisse d’intérêt du public.
Fermeture du Piccadilly en 1982
En témoignent, si besoin est, de nouvelles fermetures en 1981 : les Piccadilly I et II, rue du Fossé-aux-Loups, le Colisée (1982), rue du pont neuf, le Variétés, rue de Malines ainsi que le Plaza, le Royal Palace (1986) rue de Brabant, et l’Ambassador, rue Orts en 1989.
Sur le plateau du Heysel, s’érige désormais la cité Bruparck avec Kinépolis (1988), un complexe de huit salles inauguré en présence du chanteur-batteur Phil Collins. (9) Désormais, les fresques, les panneaux, les calicots en rapport avec le monde du cinéma sont remplacés par des affiches grands formats enfermées dans des caissons lumineux.
Au début des années 1990, la Belgique compte plus de trois millions de postes de télévision et la moitié de magnétoscopes. Pour le consommateur, la tendance au repli sur soi devient irréversible. Après soixante années d’activités, le prestigieux Métropole, rue Neuve, est obligé de baisser le rideau.
Les derniers jours du cinéma Métropole.
« Les dernières séances du Métropole mettent un point final à la désertion des salles. Elles se déroulent le plus souvent dans l'indifférence générale et en l'absence d'ouvreuses ayant déjà reçu leur préavis. Les couloirs sont à moitié éclairés, un air de laisser-aller règne partout et les quelques rares spectateurs éparpillés dans les salles les rendent plus vides encore. Certains se souviennent du désenchantement, de la morosité et de la tristesse qui planaient ce jour-là: « C'était sinistre à mourir! » (10)
Le Caméo, rue Fossé-aux-loups ne tarde pas à subir le même sort ainsi que le Pathé-Marivaux (1992).
8. Baptisé UGC-City 2, le complexe fermera en 1994.
9. En 1988, la famille Bert se lance dans la construction du Kinépolis à Bruxelles, dans le quartier du Heysel, sur l’ancien site de l'usine General Motors (ce qui explique la structure en spirale typique des grands parkings permettant d’aller d’un étage à l’autre du complexe). Premier multiplexe européen, son succès est à l'origine d'un important renouvellement du parc de salles de cinéma en Europe dans les deux décennies suivantes. Au fil des années, Kinépolis passera à vingt-quatre salles au total.( Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Kinepolis_Group).
10. Extrait du fascicule : Histoire des cinémas bruxellois- collection Bruxelles, ville d’Art et d’Histoire.
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CAMPAGNE PUBLICITAIRE POUR LE MÉTROPOLE
Années 80 - Campagne publicitaire dans les rues de Bruxelles pour le compte du cinéma Métropole
avec les panneaux peints par Edmond Jamoulle.
LES DERNIERS RESCAPÉS.
NOUVELLE POLITIQUE D'APPROCHE DU PUBLIC
Parmi la "vieille garde" des salles de cinéma, seuls l'Avenue, l'Acropole et le Vendôme parviennent à résister momentanément à la crise.
Les distributeurs en accord avec les exploitants des grands complexes (11) tels que Kinépolis et l’UGC De Brouckère modifient leur stratégie.
Afin de promotionner leurs blockbusters, ils s’y prennent des semaines à l’avance. Un sacré changement, accueilli agréablement par Edmond Jamoulle qui dispose enfin des délais nécessaires pour réaliser ses gigantesques effigies de "James Bond 007", du "Roi Lion", de "Pocahontas" ou encore des robots et vaisseaux de la série "Stars Wars".
11. Kinepolis et l’UGC De Brouckère totalisent ensemble plus de trente écrans.
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KINÉPOLIS
Panneaux peints par E.Jamoulle pour Kinepolis
L'OUVERTURE À LA PUBLICITÉ.
Exposition Franquin à Paris
Loin de se laisser démonter par la perte de sa clientèle classique, Edmond se tourne progressivement vers d’autres sources de revenus.
Il remplit son carnet de commandes en démarchant le marché de la publicité : grandes marques automobiles, galeries marchandes (City2), magasins de luxe, discothèques, pubs, vidéo clubs, parkings et foires.
Il couvre de nombreux évènements d'ordre artistique dans les domaines des festivals de cinéma, les foires de la BD, les anniversaires radio-télé, ainsi que nombre d'expositions.
Il peint l'ensemble des fresques napoléoniennes au musée du Bivouac à Waterloo ainsi que des panneaux (200 m2) retraçant la campagne des Ardennes pour le musée de la guerre à Bastogne.
Quelques exemples ci-dessous:
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Le Drink, à côté de l'UGC De Brouckère
Panneaux E.T. à City 2
Un parking à Anvers.
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Festival de Bruxelles - Toto le héros
Ouverture d'un vidéo club
Barquettes
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TRÔNES DE SAINT NICOLAS
Pour le 6 décembre et la période des fêtes, Edmond Jamoulle construit des décors enchanteurs et des
trônes pour la visite de Saint Nicolas au sein de grandes surfaces à Bruxelles, Malines et Charleroi.
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AUJOURD'HUI
En 2001, Edmond Jamoulle s’installe rue de Liverpool à Anderlecht dans un nouvel atelier qu’il baptise Studio 2001. Il a septante ans et a gardé intacte sa passion de jeunesse.
Désormais il peint pour des particuliers qui lui commandent des portraits de Brigitte Bardot, Johnny Hallyday, Charles Bronson. Ses meilleures ventes, il les réalise surtout avec Marilyn Monroe qu’il dessine vêtue de voiles ou de fourrures ou encore perchée au-dessus de la bouche de métro qui l’a rendue célèbre.
Aujourd’hui, en décembre 2018, Edmond voyage entre son appartement anderlechtois de l’avenue Marius Renard et un entrepôt qu’on lui prête généreusement à Hennuyères : seuls rescapés de ses innombrables compositions, un panneau du film Brazil et un autre de Kama Sutra. (12 ) ainsi qu'une vingtaine de silhouettes de dessins animés. |
Il sait désormais que sa succession ne sera jamais assurée et ne s’en plaint pas :
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E.J.: Je n’ai jamais décelé de talent particulier chez les jeunes recrues que j’ai essayé de former. Tous étaient effrayés par la charge de travail.
Mes projets : Je suis en train de reproduire des toiles modernes de plusieurs peintres américains très côté aux USA, tels que : Basquiat et Peter Halley (fluo). À mes nonante ans, je compte prendre une retraite bien méritée.
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12. Elles se trouvent à Bruxelles, au studio l’Equipe, on peut encore y contempler des panneaux des trois premiers Stars Wars.
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Décembre 2018
Rédaction et mise en page : Jean Jieme
Supervision : Erik Machielsen
Source: Histoire des cinémas bruxellois- collection Bruxelles, ville d’Art et d’Histoire.
Remerciements : Angie Verhoeven
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